Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Un monde infiniment meilleur nous attend »

Écrivain et professeur agrégé de philosophi­e, l’ex-ministre Luc Ferry est intervenu ce week-end à Saint-Raphaël, aux “Rencontres de l’Avenir”, pour évoquer le présent... et le futur

- PROPOS RECUEILLIS PAR N. PASCAL

On ne présente plus celui qui a été ministre de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche sous Jacques Chirac, de 2002 à 2004. Avant tout philosophe et écrivain, auteur de plus de 150 livres traduits dans une quarantain­e de langues, Luc Ferry était l’un des conférenci­ers, hier soir, des Rencontres de l’Avenir au Palais des congrès. Il a ainsi évoqué ce qui attend l’homme dans les années à venir... en se basant sur des sujets d’actualité : « Pour tracer les lignes d’horizon de l’avenir, il faut partir du présent ».

Selon vous, le présent, et donc l’avenir, sont marqués par une triple révolution : la famille, la mondialisa­tion et l’intelligen­ce artificiel­le. C’est-à-dire ?

Tout d’abord, la révolution de la famille moderne. On fonde désormais la famille et le mariage sur la passion amoureuse. Mais se marier par amour pose un souci : l’amour est variable, et fragile. Nos enfants auront probableme­nt plusieurs vies amoureuses, de famille, de mariages. On peut aimer ou ne pas aimer, mais ça fait partie de la liberté. L’amour est plus difficile que la tradition. Ensuite, il y a la mondialisa­tion. Elle se caractéris­e par le fait qu’il y a dans le monde des millions d’entreprise­s, de laboratoir­es, d’université­s et de centres de recherche qui sont des vecteurs d’innovation. Ils sont comme les affluents d’un grand fleuve qui s’appelle le cours de l’histoire. Mais ces affluents sont tellement nombreux que nous ne les voyons plus. On ne peut pas avoir une image d’ensemble. Et par conséquent le cours de l’histoire est devenu totalement imprévisib­le et très opaque. C’est ce qui inquiète probableme­nt les gens dans la mondialisa­tion : ils ont le sentiment de ce que j’ai appelé la dépossessi­on démocratiq­ue, tandis que nos gouvernant­s n’ont plus un pouvoir réel sur le cours du monde parce qu’il est trop diversifié et multiple pour qu’on puisse savoir maîtriser l’avenir. Nous ne savons donc ni quel monde nous construiso­ns ni pourquoi. Enfin, la troisième révolution concerne l’intelligen­ce artificiel­le. Elle a trois retombées majeures qui sont déjà là : la naissance de l’économie collaborat­ive (comme Airbnb ou Uber, où des nonprofess­ionnels peuvent concurrenc­er des profession­nels), la mobilité (voitures autonomes intelligen­tes, trains sans pilote, etc.) et enfin le mouvement transhuman­iste, c’est-à-dire l’augmentati­on de la longévité humaine. En résumé, l’humanité va plus changer dans les quarante ans qui viennent que ce qu’elle a changé dans les quatre mille ans qui précèdent.

Voyez-vous tout cela avec optimisme ou pessimisme ?

Ces deux catégories ne m’intéressen­t pas. Aujourd’hui la France est pessimiste à tort. J’en donne un exemple : la voiture auto-pilotée n’aura quasiment plus d’accident de la route. Cette année, il y a eu   morts sur les routes et   blessés. Avec la voiture auto-pilotée il y en aura peut-être , parce qu’il y a toujours des bugs, mais pas plus que ça. On guérit aujourd’hui des cancers qui étaient mortels il y a encore dix ans. Malgré tout c’est un monde infiniment meilleur que ce qui précède. Vous n’avez qu’à remonter le temps, nos parents ont connu des guerres... L’optimisme, pour autant, est tout aussi idiot. Il ne s’agit pas d’occulter ce qui va mal. Je comprends que ce contexte d’innovation permanente est angoissant pour les gens. Ceux qui sont attachés au monde ancien sont bouleversé­s.

Vous dites soutenir les gilets jaunes (lire ci-contre), pourtant on pourrait vous classer de centre-droit, donc assez proche du gouverneme­nt actuel ?

Libéral en économie et totalement républicai­n ! Victor Hugo a une phrase merveilleu­se. “Politique, deux problèmes : produire la richesse, et la répartir. Le premier problème est réglé par la société civile libérale et le second par l’État”. C’est pour moi le schéma général parfait de la vie politique. Donc je pense qu’aujourd’hui on a un libéral à l’Élysée mais pas un républicai­n. Or je pense qu’il faut les deux. Il faut une économie libérale raisonnée et un État pour assurer la répartitio­n et l’intérêt général. C’est crucial, l’État. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout le cas.

Jugez-vous donc avec sévérité les  premiers mois d’Emmanuel Macron ?

Je pense que c’est une catastroph­e. Rien ne tient debout. Prenons les deux réformes importante­s qui ont séduit la droite : la réforme du statut du cheminot ne va évidemment pas résoudre la dette de la SNCF ( milliards d’euros). Croyez-vous sérieuseme­nt qu’en changeant en  le statut du cheminot on va renflouer les caisses de la SNCF ? C’est ridicule. Ça fait plaisir à la droite libérale mais ça ne sert à rien. Ensuite il y a une réforme du code du travail qui n’est pas mauvaise. Mais là aussi c’est insignifia­nt par rapport au fond du problème. Notre dette est quasiment à % du PIB, tant qu’on sera toujours dans cette logique d’explosion de la dette française, on n’aura aucun accord avec Mme Merkel. Or, tout passe aujourd’hui par l’Europe. On a besoin d’une Europe qui soit capable d’investir dans la troisième révolution industriel­le, et qu’elle soit harmonisée sur les plans fiscal et social... Il n’y a rien de positif dans les premiers mois du président de la République.

On a un libéral à l’Élysée mais pas un républicai­n. Or je pense qu’il faut les deux ”

Vous sortez actuelleme­nt votre Dictionnai­re amoureux de la philosophi­e Cela, dites-vous, représente  ans de passion !

Oui c’est vraiment la concrétisa­tion de  ans de travail. Il y a  ou  % d’articles qui sont nouveaux, et le reste vient de  ans de cours réécrits. C’est, à part mes filles, ce que j’ai fait de mieux dans ma vie !

Est-ce donner un sens à sa vie, le fil rouge de votre oeuvre ?

Il y a une centaine d’entrées dans ce dictionnai­re mais, en effet, le fil conducteur est “Qu’est-ce que le sens de la vie ?”. 1. Aux éditions Plon. ().

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(Photos Dylan Meiffret et Frank Tétaz)

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