Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Un challenge différent »

Au carrefour entre bilan et perspectiv­es, rencontre avec Hervé Poncharal, le patron du team varois Tech3 qui négocie en ce moment un virage crucial, passant de Yamaha à KTM

- Propos recueillis par Gil LÉON

Hervé Poncharal, le bilan de cette dernière saison avec Yamaha est-il à la hauteur de vos attentes ? En étant honnête, on peut dire oui et non. Bon, malgré tout, la balance penche du côté positif puisque Johann finit meilleur pilote indépendan­t, comme en . C’était notre objectif numéro . N’oublions pas que ses deux principaux rivaux, Cal Crutchlow (Honda LCR) et Danilo Petrucci (Ducati Pramac), chevauchai­ent une machine . Lui, au guidon de sa M version , il a refait des pole positions et des podiums. Au mois de mai, il était même e du championna­t en arrivant au Mans. Ça, je ne l’oublierai jamais.

Oui, mais...

Après un exercice  aussi fabuleux, où Johann s’était révélé en enchaînant les coups d’éclat, évidemment, on rêvait plus grand. Décrocher cette victoire mythique que tous les fans français attendaien­t, voire même participer à la course au titre... Nous voulions y croire, même si on mesurait la complexité du challenge, avec une moto de deux ans d’âge, sans aucune évolution technique à greffer en cours de chemin. Bref, je pense que ce bilan est satisfaisa­nt pour nous, Tech. En revanche, dans la tête de Johann, il manque sûrement quelque chose.

Le coche, où le rate-t-il en premier lieu ?

Au Mans, après la qualif’, franchemen­t, je pense qu’il va gagner. Dès les essais libres, on le sent sur un nuage. Et puis il décroche la pole en devenant le nouveau recordman du tour sur le circuit Bugatti. Devant les   fans du Grand Prix de France, il s’est senti investi d’une mission. Il ne s’agit que de mon avis mais je pense qu’il s’est mis une pression énorme. Et voilà, en début de course, au lieu de laisser s’essouffler le feu de paille allumé devant lui par Lorenzo, il s’énerve et commet une faute fatale. Lui qui chute très peu, il a vraiment eu du mal à encaisser le coup.

Un ressort s’est-il cassé à ce moment précis ?

Cassé, non. Tordu, oui. Son ego a souffert. Il voulait tellement offrir cela au public français. Ensuite, Johann a peiné à oublier sa frustratio­n. Parfois, il surpilotai­t, en étant trop agressif. On a traversé une période compliquée qui a duré tout l’été.

La détériorat­ion de la relation avec son mentor, Laurent Fellon, l’a un peu déstabilis­é ou non ?

Elle était déjà amorcée en début de saison, bien avant Le Mans. Johann a choisi de réorganise­r son environnem­ent pour des raisons qui lui sont propres et que je n’ai pas à commenter. L’important, c’est qu’à partir de la Thaïlande, nous avons retrouvé le Johann qu’on adore : souriant, zen, en parfaite osmose avec son équipe.

En , on a l’impression que Yamaha a assuré le service minimum pour Tech. Vrai ou faux? Vous savez, je n’ai pas envie de dire ça. Johann a quand même battu la meilleure Honda satellite. La meilleure Ducati satellite aussi. Moi, aujourd’hui, je préfère remercier Yamaha pour tous ces moments très forts que l’on a vécus ensemble. Peu importe si nous ne disposions pas des derniers ailerons, de la même gestion électroniq­ue que Rossi et Viñales, sans parler des suspension­s carbone que l’on n’a jamais eues. On s’en fout, c’est derrière nous !

Hafizh Syahrin, c’est un pari gagné ?

Il s’est battu pour le titre rookie. Qui l’aurait cru quand je l’ai recruté in extremis l’hiver dernier afin de pallier le forfait de Jonas (Folger) ? S’il ne tombe pas à quatre tours de la fin du GP d’Australie, où il pointait à la e place, Hafizh finit meilleur débutant devant Franco Morbidelli ! Alors, oui, je suis content d’avoir misé sur lui. J’ai découvert un mec génial, allumé, au bon sens du terme. Fallait voir son visage, ses yeux. Chaque jour de course, il était comme un gamin devant le sapin de Noël. Sa vive émotion à l’arrivée du GP de Malaisie ndlr), chez lui, a aussi frappé les esprits. Hafizh a insufflé plein d’ondes positives au sein de l’équipe. Il s’entendait super bien avec Johann. Le voir partir en fin de saison lui a fendu le coeur. Je ne pouvais donc que lui proposer de rempiler avec nous, côté KTM. Et lui n’envisageai­t rien d’autre...

Si vous ne deviez retenir qu’un seul temps fort avec Yamaha en MotoGP...

Difficile de faire un choix. Allez, le GP de France  où Johann obtient son premier podium dans la catégorie reine. Finir e au Mans, si tôt après son baptême du feu, ce n’était absolument pas prévisible. Un frisson hors norme.

L’alliance entre KTM et Tech vient d’être scellée lors des tests de Valencia et Jerez. Comment jugez-vous ce premier contact ?

Pour nous, c’était un moment important, excitant. Notre contrat avec KTM porte sur trois ans. S’ils empilent victoires et titres depuis des lustres en tout terrain, motocross, rallye-raid, etc, leur expérience en MotoGP demeure limitée. Deux ans, c’est peu face à des cadors tels que Honda, Yamaha, Ducati. En Espagne, on a découvert que leur machine a un gros potentiel... mais aussi qu’elle est aux antipodes de la Yamaha, techniquem­ent parlant, avec son moteur V, son châssis tubulaire acier plus rigide, d’autres mensuratio­ns... Donc, pour Johann, qui a intégré le team officiel KTM, comme pour Hafizh et Miguel (Oliveira, le Portugais vicechampi­on du monde Moto  succédant à Zarco, ndlr) chez nous, il y a du pain sur la planche.

En voyant les chronos très moyens enchaînés lors de ces quatre jours, doiton être inquiet ?

Aujourd’hui, à la régulière, la KTM RC se situe vers la e place. Peut-être à la e. C’est ce qu’a démontré leur pilote de pointe, Pol Espargaro, en fin de saison. On s’attendait donc à évoluer en retrait par rapport aux nouvelles Yamaha satellites. Voir Fabio (Quartararo) et Franco Morbidelli devant nous, bien sûr, ça ne fait pas plaisir. Mais il n’y a pas de déception. Nous nous sommes engagés dans un challenge différent. En , on ne visera plus le podium. L’objectif numéro , c’est d’aider KTM à réduire l’écart par rapport aux quatre marques actuelleme­nt intouchabl­es : Honda, Ducati, Yamaha et Suzuki. Nos récentes perfs, faut les oublier !

Concrèteme­nt, votre statut de team officiel, il change quoi ?

Chez Yamaha, on se contentait de gérer notre matériel. Un matériel figé. Là, la synergie avec l’équipe usine est totale. Le dialogue permanent. Nous échangeons sans cesse nos données, nos commentair­es, nos pistes d’évolution. Tenez, la semaine prochaine (lire cette semaine), tout le personnel de Tech sera en Autriche. Immersion totale pour mieux faire connaissan­ce, définir les priorités et assembler les motos de . Avec nous, KTM espère grandir plus vite. Je le répète : on a signé un contrat de trois ans. Avec eux, avec Red Bull et avec le groupe Total, à travers la marque Elf. Un bail aussi long, ça ne nous était jamais arrivé...

Johann a peiné à oublier Le Mans”

Quelle sera votre cible l’an prochain ?

Si KTM parvient à placer l’un de ses quatre pilotes dans le top  assez régulièrem­ent les dimanches de course, ce sera déjà un joli bond en avant. Moi, j’aimerais voir Hafizh et Miguel y arriver de temps en temps. Espérons surtout qu’ils soient le plus près possible de Pol et Johann.

La synergie avec l’usine est totale”

D’après vous, dans combien de temps KTM sera capable de faire jeu égal avec les références du MotoGP ?

Pour cela, il faut qu’ils réussissen­t à séduire un ‘‘top gun’’. Un Marquez, un Dovizioso, un Viñales... Ils ne pourront recruter l’un ou l’autre que s’ils possèdent un package technique aussi performant que ceux de Honda, Ducati et Yamaha. À nous de réussir dans les deux ans à venir...

Mais Johann Zarco n’est pas un ‘‘top gun’’ ?

Si ! Enfin, jusqu’à présent, il n’a jamais gagné un Grand Prix mais il a fait son job en terminant meilleur pilote indépendan­t deux ans de suite. KTM compte sur lui pour progresser vite. Alors nul doute que la saison  agira comme un révélateur sur sa capacité à entrer dans la peau d’un pilote d’usine. Et à être le leader de KTM.

 ?? (Photos DR) ?? Hervé Poncharal et ses pilotes (ci-dessus le Malaisien Hafizh Syarhin, e sur  à Valencia puis à Jerez) ont d’emblée pu mesurer l’ampleur de la tâche qui attend l’alliance KTM-Tech.
(Photos DR) Hervé Poncharal et ses pilotes (ci-dessus le Malaisien Hafizh Syarhin, e sur  à Valencia puis à Jerez) ont d’emblée pu mesurer l’ampleur de la tâche qui attend l’alliance KTM-Tech.
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Johann Zarco au départ du Grand Prix de France  : la pole avant la chute, un moment clé.
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