Monseigneur Rey: « L’Église doit montrer l’exemple »
Gilets jaunes, scandales de pédophilie dans l’Église, intolérance religieuse... l’évêque de FréjusToulon n’écarte aucun sujet. Il met même les choses au point sur sa prétendue opposition au Pape
Les Français ont des difficultés à boucler les fins de mois. C’est aussi le cas de l’église qui voit les dons de ses fidèles diminuer. Quelle est la situation du diocèse de Fréjus-Toulon ? La situation ici est globalement la même que celle des autres diocèses. Outre la diminution du nombre de fidèles, certains avantages fiscaux accordés sur les donations ont depuis été supprimés. Ces deux éléments conjugués affectent sensiblement le denier de l’église, qui est une contribution volontaire des fidèles pour le service de l’église, pour qu’elle puisse continuer ses activités, payer les prêtres, et pourvoir les différentes missions qui lui sont affectées. Pour tenter d’inverser la tendance, on a bien sûr pris des mesures. On a par exemple mis en place le parrainage de séminaristes, lancer des campagnes de publicité pour mieux faire connaître l’action de l’église, ou encore développé des formes de quêtes permettant une certaine défiscalisation. Mais cette situation nous oblige avant tout à être comptables de nos ressources et de nos dépenses. Elle nous invite par ailleurs à responsabiliser encore plus les chrétiens sur la nécessité de donner à l’église les moyens d’exister.
Le clin d’oeil au mouvement des Gilets jaunes ne vous aura pas échappé. Quel regard portezvous sur ce malaise social ?
On sent une fracture sociale chez une partie de la population qui se sent discriminée, qui parfois n’a même plus les moyens de vivre. Cela crée un profond malaise, une incompréhension par rapport aux élites. Cette «insurrection», cette contestation dans la rue de la part d’une population en grandes difficultés souligne une espèce de délitement du discours politique, et de la prise en charge institutionnelle – je pense ici aux syndicats apparemment mis sur la touche. Une redistribution des rôles, une remise à plat du système semble s’imposer. On ne peut plus aujourd’hui fonctionner par des ajustements. Dans une société où il y a des injustices flagrantes, inacceptables, on doit remettre les choses à plat.
Depuis lundi le cardinal Barbarin, entre autres, est jugé pour non-dénonciation d’agressions sexuelles. C’est le procès du silence de l’église. Comment vivez-vous ces moments ?
Très douloureusement car c’est l’image de l’église tout entière qui est endommagée. Il n’empêche : sur les actes de pédophilie, on est resté silencieux alors qu’on n’aurait pas dû l’être. Bien sûr, cela vaut pour d’autres institutions, mais l’église doit montrer l’exemple en la matière. Toutes ces affaires, tous ces scandales, tous ces silences, mais aussi la non-écoute dont on a fait preuve à l’égard des victimes pèsent fort logiquement sur l’image de l’église. Mais, notamment grâce à l’intervention énergique du pape François – dans ses déclarations, comme dans ses décisions – les choses évoluent. Et ce n’est pas fini puisque les présidents des conférences épiscopales se réuniront sur ces questions-là autour du Pape, à Rome, au mois de février prochain. Mais on doit continuer à prendre des mesures drastiques. On ne peut plus exfiltrer des personnes coupables de tels actes. On doit d’abord faire la vérité et accepter de collaborer avec la justice. On doit aussi faire davantage dans l’attention, l’écoute, l’accompagnement des victimes qui ont été gravement, durablement et profondément blessées par ce qui leur est arrivé. Surtout de la part de prêtres qui ont non seulement violé leur corps, mais leur conscience. À ce sujet, des cellules d’écoute pour les victimes ont été mises en place ici comme dans d’autres diocèses. Si nécessaire, elles alertent le Procureur de la République et collaborent avec la Justice.
Vous-même, avez-vous eu à dénoncer de tels agissements ?
Oui. Quand je suis arrivé dans le diocèse en , j’ai été averti d’une situation de maltraitance d’enfants. Sur les conseils d’un juge pour enfants que je connaissais personnellement, j’ai agi immédiatement en alertant le procureur de la République. Des personnes ont été mises en prison. Même si certains me l’ont reproché, je n’ai jamais regretté d’avoir pris de telles décisions. Je souhaite que l’église soit pionnière sur ces questions-là par rapport à la gravité des faits. Je le dis par rapport aux victimes mais aussi par rapport aux prêtres et religieux totalement dévoués. Elles font aussi partie des victimes de cette disqualification que l’église subit, alors qu’ellesmêmes ont engagé toute leur vie avec générosité, honnêteté. Je leur dois aussi ce devoir de justice.
Quel est votre rapport au Pape François ?
J’ai été très touché et je le suis encore par tout ce qu’il peut représenter. Je me retrouve totalement dans ce que dit le Saint-Père. Je citerai un seul exemple : j’ai été amené à réfléchir sur les questions écologiques à travers la production d’un livre « Peut-on être catho et écolo ? ». Juste après (rires), arrive le pape François qui sort l’encyclique Laudato Si consacrée justement aux questions environnementales et sociales. Les accents pastoraux que je porte en moi-même, que j’essaye de développer ici, je les retrouve pris en charge, exprimés et déployés à l’échelle de l’église universelle par le Saint-Père. Sur la personnalité du Pape, je trouve que c’est un homme d’une grande liberté, qui n’est pas rivé à des protocoles, qui a cet enthousiasme, cette audace, ce prophétisme. Je sens aussi quelqu’un, et je le vois dans ses attitudes, qui veut se rendre proche des gens. Il oblige l’église à se bouger, à vivre une transformation, une conversion. S’appuyant sur la visite du cardinal Burke, très critique visà-vis du Pape, certains vous rangent pourtant du côté des frondeurs… Le diocèse est ouvert à des tas de visites. Le cardinal Burke est venu ici. J’ai rencontré à plusieurs reprises le cardinal Marx qui, au contraire, passe pour quelqu’un d’ultralibéral. Je ne me situe pas comme un élève du cardinal Burke ou un élève du cardinal Marx. Être catholique, c’est être universel. Ça veut dire être accueillant à tous. Dans l’église, chacun peut exprimer son opinion, sa sensibilité. J’essaye d’agir en toute liberté, honnêteté par rapport à ces différentes sensibilités qui s’expriment. Le tout est de garder l’unité. Chacun peut porter une sensibilité particulière tant qu’il s’intègre à une vision commune et sous la responsabilité du Pape.
Quatre ans après les attentats contre Charlie Hebdo, le journal satirique affirme que l’intolérance religieuse a progressé. Que répondez-vous ?
Il y a parfois dans la manière de traiter du religieux quelque chose de très offensant, du mépris pour ceux pour qui la religion est une dimension fondamentale de l’existence. Ça peut susciter des réactions violentes. Il y a des violences dans les représentations du religieux qui génèrent des violences de la part de certains groupes. Il faut en être conscient. Je prône tout à fait la liberté de la presse, mais en même temps une vigilance pour que, au nom de cette liberté, on ne soit pas de ceux qui attisent la flamme. Nous sommes aujourd’hui sur des équilibres très fragiles. Il suffit d’une prise de parole, d’une image pour mettre en danger l’unité de la société. Pour éviter d’en arriver là, faisons preuve de respect pour chacun, soyons capables d’entamer le dialogue. On doit aussi se poser les questions suivantes : est-ce que je peux me moquer de tout ? Est-ce que je peux calomnier tout ? Gardons-nous, au nom d’une liberté qui se veut absolue, de déclencher le pire.
L’église doit collaborer avec la justice ” ‘‘ Gardons-nous de déclencher le pire ”