Procès de bars à hôtesses à Toulon: le trouble passé
Charly bar, Rubis bar, le Mékong… C’est une vieille affaire toulonnaise qui a resurgi en justice. On y ressuscite des marins délestés de milliers d’euros, noyés d’alcool, avec un zeste de sexe
Ces bars firent la légende de Toulon. Dans le sulfureux « Chicago », quartier de la basse ville, où venaient s’encanailler des hommes en mal de présence féminine. Au tournant de la décennie 2010, une poignée de bars à hôtesses fait grésiller ses néons dans les ruelles étroites qui descendent au port. Des filles entreprenantes accueillent le chaland. Mais elles ne le lâchent qu’après avoir vidé son portefeuille. En août 2009, ce fut le déboire d’un militaire à qui la soirée galante coûta 2 217,90 €. Un autre, marin d’État, perdit 5 800 € en une nuit de bagatelle dans les profondeurs du bar le Mékong, où « une fille avait tenté de lui faire une fellation ». Déposée en 2010, sa plainte fut retirée après qu’il eut récupéré son argent. Ainsi commençait l’affaire des bars à hôtesses.
« La justice n’oublie pas »
Devant le tribunal correctionnel de Toulon, où les robes sont noires et longues, la juge doit raviver les souvenirs. L’affaire a mis bien longtemps à aboutir, malgré des dizaines de plaintes entre 2009 et 2012. Cette année-là, trois établissements litigieux, le Mékong, le Charly bar et le Rubis bar étaient contraints de fermer. « La justice est lente, mais elle n’oublie pas », positive le ministère public, considérant que « le temps passé peut avoir des vertus. Un individu peut tirer un trait sur la délinquance. Ou persévérer ». De vertu, il n’y eut guère, dans ce monde interlope organisé par une même famille. Le père et le fils répondent à la barre de soupçons de proxénétisme aggravé, cheveux bien peignés en arrière, rejetant toute accusation.
«Alerté par la police»
« C’est par la police que j’ai été alerté », assure Jean-Claude L., 75 ans sans ciller. Son fils JeanFrançois, 52 ans, renchérit : « Si j’avais vu quoi que ce soit d’anormal, j’aurais réagi. » Point d’escroquerie dans leurs bars. Et encore moins de prostitution. Le fils faisait pourtant la fermeture chaque nuit, pouvant baisser le rideau alors que des filles restaient encore avec des clients. « Quand vous voyez votre employée en petite tenue, ça ne vous alerte pas ?, questionne la juge. Et quand plus de mille euros sont facturés sur la même carte bancaire à quelques minutes d’intervalle ? » Pas de réponse. Ou plutôt si. « On est des commerçants. Les filles m’ont volé, ce sont des menteuses », lâche le père, cherchant à se faire victime. Irrité, le tribunal le contraint à présenter des excuses sur le champ. « Vous êtes le seul dans la basse ville de Toulon à n’avoir pas vu ce qu’il se passait dans vos bars ! » Des quatre femmes poursuivies, seules deux sont présentes. Ce sont aussi les seules à endosser une part de responsabilité. À ne pas se cacher derrière le paravent qui leur permettait de s’occuper discrètement des clients. Entre imprégnation d’alcool, faveur sexuelle et vol de carte bancaire.
« Ils payaient la présence des demoiselles »
Pour ne pas avoir accepté de donner physiquement de sa personne, Marie-Pierre, 54 ans, s’est fait congédier. C’est ce qu’elle dit. « Si on ne faisait pas assez de chiffre, on était viré. » Les patrons s’agaçaient. « Il serait temps de s’y mettre. » Tout le monde comprenait. La barmaid a quand même été rembauchée, pour son sérieux, mais a vite déchanté. « Cela s’est détérioré, le contrat de départ n’était plus respecté .» Les hommes « payaient la présence des demoiselles par des bouteilles de champagne, même si toutes les bouteilles n’étaient pas ouvertes », décrit-elle. Devant des montants de carte bleue « trop forts », ou qui « se suivaient », elle se serait alarmée : « On va tous finir en prison avec ces histoires, ça ne se fait pas. » Sur les faveurs sexuelles, MariePierre n’a jamais cédé. Contrairement à Virginie, 37 ans. « Jusqu’où alliez-vous dans le comportement, derrière le paravent ? », demande la juge. « C’était pour la discussion, la sympathie. Un paravent pour l’intimité », élude, mal à l’aise, la trentenaire, cheveux lâchés sur son blouson. Sur une vidéosurveillance du bar, on voit « une femme en string, suivie par un homme en caleçon avec une attitude non-équivoque », décrit le tribunal.
Les filles m’ont volé, ce sont des menteuses ”
Composés dans l’ivresse de l’alcool et des sens, « les codes à quatre chiffres » des cartes bancaires étaient vite récupérés. Notés dans un carnet et mis à profit. Une hôtesse s’occupait du client, une autre de sa carte de paiement.
« On a changé de vie »
« On n’arrivait plus à travailler, le client se faisait rare », tente de justifier l’ex-hôtesse. Puis, d’une formule saisissante, elle ajoute : « Souvent des marins revenaient, même après avoir porté plainte. C’est un vice qu’on avait… et qu’ils avaient aussi. » Pour eux, des femmes à toucher. Pour elles, des hommes à détrousser. Souvenirs piteux. « On a changé de vie », murmurent-elles. Leurs anciens patrons aussi. Sur les trente-trois hommes qui ont porté plainte pour escroquerie, quatre se sont constitué partie civile, deux ont fait des demandes chiffrées. Aucun n’était à l’audience.
Des marins revenaient, même après avoir porté plainte. C’est un vice qu’on avait… et qu’ils avaient aussi”