Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Nice : La grande Dame du Negresco s’en est allée

Jeanne Augier s’est éteinte, lundi soir, à 95 ans. Cette chef d’entreprise audacieuse, femme de caractère, a fait fructifier le mythique palace désormais propriété d’un fonds de dotation

- CHRISTINE RINAUDO crinaudo@nicematin.fr

Madame » s’en est allée. Par-delà le dôme rose qui coiffait son bureau. Le Negresco a perdu son étoile. Jeanne Augier n’est plus. Elle s’est éteinte lundi soir dans le palace emblématiq­ue de la promenade des Anglais. Son palace… Elle avait 95 ans. Presque autant que le mythique établissem­ent ouvert en janvier 1913 et sur lequel elle régna plus de soixante ans, faisant d’un bâtiment à la dérive, le plus fabuleux hôtel-musée du monde à la gloire de la création française. Affaiblie depuis quelques années par la maladie d’Alzheimer, Madame Augier déclinait au fil des mois. Son état s’était considérab­lement déterioré depuis quelques jours, notamment en raison d’une infection pulmonaire. Elle ne s’alimentait plus, était sous perfusion et morphine. Son médecin-traitant, le curé de l’église Saint-Pierre-d’Arène et toute une équipe de nurses et personnel soignant se relayaient autour d’elle, de jour comme de nuit, dans son appartemen­t perché au dernier étage du 5-étoiles. Dès lundi, le directeur, Pierre Bord avait fait une communicat­ion par mail à l’ensemble des 170 employés, les informant que Madame Augier était au plus mal. Fin d’une époque. Fin d’un mythe. Jeanne Augier est entrée dans la légende.

Autodidact­e de l’art

« Madame »… Bien au-delà d’une hôtelière de luxe. Une «experte autodidact­e», comme elle aimait à dire d’elle-même. Car l’art, dont elle a façonné le Negresco, elle l’a appris et acquis sur le terrain. Par son intelligen­ce et sa volonté. «Madame »… Une Bretonne têtue. Une femme chef d’entreprise. Une patronne à tous les sens du terme. À l’ancienne. Ayant l’oeil sur tout. Une coupe de cheveux à reprendre, un bouton d’uniforme un peu terne… Rien ne lui échappait. Elle ne laissait rien passer. Avec son personnel comme avec ses interlocut­eurs, hommes politiques, d’affaires, célèbres. Femme de pouvoir, de conviction. Une ténacité trempée dans l’acier. Forte personnali­té qui n’avait peur de rien. Ni de personne. Elle envoya sur les roses tous les acheteurs potentiels de son palais. À l’émissaire du sultan de Brunei venu tenter de mettre la main sur le Negresco, elle répond : « Trop cher pour lui ! » Même refus pour Bill Gates, qui lui signe un chèque en blanc et à qui elle écrit : « Vous n’êtes pas assez riche ! » Sous son règne, le Negresco n’était pas à vendre. Point final. Inflexible créature. Mais qui fondait devant les animaux. La chatte Carmen, longtemps mascotte des lieux, vautrée dans les canapés dorés du bar Le Relais ,ses chiens Lili, le yorkshire, Lilou, le sharpei… Elle les adorait. Comme elle adorait et acceptait les autres bêtes, bienvenues dans sa demeure du 37, promenade des Anglais. Les animaux… « Les frères, les soeurs, les enfants, que je n’ai jamais eus… » Elle soutenait des refuges. Elle détestait les corridas, n’hésitant pas à placarder, aux abords du 5-étoiles, des affiches géantes, dénonçant ces combats d’arène. Jeanne Augier appréciait aussi les gens.

Belles choses et bonnes actions

Du moins certains : «Ilyen avait auxquels elle passait tout et pas nécessaire­ment les plus importants», s’en amuse le père Gil Florini, vice-président et délégué général du fonds de dotation. Elle a fait de grandes et belles choses. « Elle aimait soutenir les bonnes actions. À un sinistré varois handicapé, touché par des inondation­s, elle a racheté un fauteuil entièremen­t équipé. À l’Archet, elle a financé du matériel pour les enfants myopathes ne pouvant pas respirer. Elle a payé des chiens guides à des aveugles. La messe pour les animaux ? Oui, c’est elle qui en a eu l’idée, mais d’abord pour laisser entrer à l’église les maîtres isolés, n’ayant qu’un chien, un chat ou un oiseau dans leur existence », énumère le curé. Une femme plus complexe qu’elle n’y paraissait. Pas totalement gentille. Pas totalement dure. Qui a eu des loupés, des manques, des chagrins. En janvier 2013, elle publiait La Dame du Negresco , ouvrage dans lequel, elle livrait sa vie, son parcours, son testament. Aujourd’hui la grande dame du Negresco a tiré sa révérence. La même, qu’elle faisait avec allure et assurance devant les têtes couronnées de ce monde. Que dire de plus? «Que Jeanne Augier a eu sa vie et le plus bel hommage qu’on peut lui rendre, c’est de dire la vérité… »

 ?? (Photo François Vignola) ?? Elle était l’âme du Negresco, elle adorait les animaux. Jeanne Augier a tiré sa révérence après des décennies de règne fastueux sur l’hôtellerie de luxe et l’art pluriel.
(Photo François Vignola) Elle était l’âme du Negresco, elle adorait les animaux. Jeanne Augier a tiré sa révérence après des décennies de règne fastueux sur l’hôtellerie de luxe et l’art pluriel.

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