Au nom de la loi
« La France est le seul pays où l’on peut s’enrichir en tabassant un gendarme. »
On ne sait pas exactement combien a ou aurait rapporté la cagnotte Leetchi pour le boxeur du pont Sédar-Senghor à Paris, puisque, devant les protestations, il a été décidé de masquer le total, puis d’interrompre la collecte. On en était alors aux environs de €. Une somme. La France est le seul pays où l’on peut s’enrichir en tabassant un gendarme. Plus éloquent encore que ces hommages sonnants et trébuchants du « vrai peuple français », il y a les commentaires qui vont avec. Sur Leetchi comme sur Facebook ou sur Twitter. Ces odes, ces dithyrambes à celui dont on voudrait faire, je cite, le « symbole de la vengeance du peuple contre l’injustice des violences policières ». Ayant vu ce que nous avons vu, comment ne pas être frappé, et choqué, par ces tentatives d’héroïser un acte et une personne qui a pourtant fait son mea culpa ? Et étonné, aussi, par le halo de mansuétude ou de complaisance qui l’entoure : on pense à tous ceux, « gilets jaunes » ou sympathisants, qui « bien sûr, n’approuvent pas, mais… ». Tout cela dit la profondeur du fossé de haine et de ressentiment derrière lequel s’est retranchée cette France insurgée qui a fait sécession avec l’ordre institutionnel. Et, bien au-delà, l’affaissement dans la société française, des notions de droit, de justice, de respect de la légalité. On épargnera au lecteur la litanie des atteintes au droit et des violences qui ont accompagné le mouvement depuis les premiers jours (qu’ils aient été le fait de « gilets jaunes » ou de casseurs infiltrés). A moins d’avoir passé deux mois au fond d’une cave, chacun a pu voir et en juger. Ce qui est impressionnant, c’est qu’elles aient si peu entamé le crédit de ce mouvement dans l’opinion. Même les samedis noirs – er et décembre – n’ont pas fait basculer la « majorité silencieuse ». Comme si les Français avaient acquis une forme d’accoutumance. Ou une capacité d’indignation sélective, indexée sur l’anti-macronisme. Ce qui rend la situation si délétère, ce sont moins les appels explicites à la violence insurrectionnelle (ils existent, et sont fort peu poursuivis) que l’attitude si répandue, dans les partis extrémistes (et pas que), mais aussi parmi les intellectuels et dans une partie de la presse, consistant à invoquer la lutte contre les injustices, l’« arrogance » de Macron, les « provocations policières », que sais-je encore, pour glisser d’un soutien, légitime, à la cause des « gilets jaunes » à un aveuglement volontaire devant les voies de fait commises par les plus radicaux d’entre eux. Et finalement renvoyer dos à dos, camp contre camp, ceux qui attentent à l’ordre public et ceux qui sont chargés de le défendre. Eh bien non, il n’y a pas deux bandes face à face. On ne peut pas mettre sur le même plan les émeutiers et la police. Ceux qui violent la loi et ceux qui ont mission de la faire respecter. Que des policiers se mettent à la faute, bien sûr, cela arrive. Ils doivent en répondre devant les instances compétentes. Mais rien, dans une démocratie, ne justifie qu’on s’attaque à l’Etat de droit et aux forces de l’ordre. Rien ne peut excuser qu’on rosse un gendarme. Ni qu’on envahisse un ministère. Rien, pas même la prétention d’incarner « le peuple ». Dans une démocratie représentative – et jusqu’à plus ample informé, nous n’en connaissons pas d’autres – la légitimité ne se mesure pas aux décibels ou au nombre de clics sur Internet mais dans les urnes.