Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Coup de grâce

- DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Il se pourrait bien que la date du  janvier  et la lettre qu’Emmanuel Macron a adressée à tous les Français s’inscrivent un jour ou l’autre parmi les dates et les événements importants de l’Histoire de France. Pour des raisons qui ne sont sans doute pas celles imaginées par le chef de l’État en lançant ainsi son Grand Débat. Le Président en attend, en effet, une sortie de la crise qui s’est emparée du pays depuis plus de deux mois et un retour en grâce dans l’opinion. Mais sa démarche et son courrier viennent bousculer tous les codes et usages de la démocratie dans notre pays. C’est le rôle du politique et les mécanismes de la démocratie représenta­tive qu’il a choisi de mettre en péril dans cet exercice improvisé de démocratie directe sans garde-fous. Certes, il a balisé le chemin, écartant surtout la remise en cause de ses propres réformes, néanmoins il a demandé aux Français de délibérer sur tout ce qui, en principe, relève de l’activité des élus. Les questions qu’il pose comme un professeur s’adressant à une classe n’ont rien de révolution­naires en soi car elles sont sur la table nationale depuis fort longtemps. Mais les réponses relèvent d’abord de l’action des élus au suffrage universel. S’en décharger dans un grand débat, ou déballage, c’est porter un coup de grâce à la politique dont le rôle n’est pas d’exprimer ou de résumer la pensée de la foule mais d’y surajouter une pensée plus méditée qui, par la suite, d’ailleurs, peut ne pas être différente. Le pouvoir n’est pas élu pour simplement faire ce que pense la société mais avant tout pour découvrir ce qu’il y a de plus utile et bénéfique pour elle. Plus les sociétés sont complexes, plus d’ailleurs elles ont besoin de réflexion pour se conduire, ainsi que l’expliquait Emile Durkheim, le père de la sociologie. La démocratie représenta­tive a été conçue pour y parvenir. Certes, elle a montré ses limites au cours de ces dernières années mais fallait-il courir le risque de la détruire définitive­ment dans un échange direct, sans véritable filtre, entre le Président et la société ? La pyramide classique de la démocratie est soudain inversée : sa base – la société – pèse à présent directemen­t sur son sommet – le Président. Et peut l’écraser sous le poids de ses débats. L’État n’a plus de sens dès lors qu’il devient une « chambre d’enregistre­ment ». S’il n’apporte pas de plus-value, il devient inutile et la porte s’ouvre à toutes les aventures. Emmanuel Macron aime la transgress­ion mais il vient de s’engager sur un chemin plein de pièges pour le pays. Espérons qu’il sache comment les déjouer.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France