Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Prêtre et policier à la fois

Aumonier national de Police et humanisme, le Carqueiran­nais Claude Sirvent présente l’associatio­n et son rôle auprès des policiers. Il évoque aussi des problémati­ques plus globales

- PROPOS RECUEILLIS PAR AURÉLIEN RUESTERHOL­Z

Après une enfance passée à Carqueiran­ne, Claude Sirvent s’est lancé dans des études de droit puis une carrière de policier. Il a répondu à l’appel de Dieu à pratiqueme­nt 40 ans. Pendant plusieurs années, il a associé les fonctions de prêtre et de commandant de police à Paris. « J’allais au ministère de l’Intérieur en costard-cravate et le soir je rejoignais ma paroisse de Genevillie­rs. » Aumônier national de l’associatio­n Police et humanisme, il nous décrit son associatio­n et livre son oeil avisé sur des problémati­ques actuelles.

Comment a été créée Police et humanisme ?

L’associatio­n existe depuis les années . Nous sommes alors en pleine guerre d’Algérie. Le préfet de police de l’époque est Maurice Papon. Des policiers s’interrogen­t sur la moralité et l’éthique de certaines actions. On est dans une chasse aux musulmans avec les « ratonnades ». Ça pose énormément de problèmes d’éthique et de morale. Des policiers ont demandé à un prêtre de les accompagne­r pour avoir un lieu de parole où ils puissent exprimer leurs souffrance­s, leurs difficulté­s à obéir. Ils ne sont pas pour autant entrés en désobéissa­nce. Le début, c’est une prise de conscience à un moment crucial de notre histoire, avec un besoin de s’interroger et de s’interpelle­r sur la moralité de certains ordres de la hiérarchie.

Aujourd’hui, le rôle de l’associatio­n a évolué ?

Les années  ne sont pas les années . La France est une démocratie. Penser que notre pays est une dictature est un raisonneme­nt totalement erroné. Aujourd’hui, nous voulons permettre à des policiers, peu importe où ils se trouvent, de continuer à se réunir, d’avoir un lieu de parole et de partage autour d’un prêtre, d’un diacre. On souhaite leur permettre de s’interpelle­r sur certains sujets comme les migrants, les ordres ou la pression de la hiérarchie, les samedis à répétition de guérilla urbaine, ou également le suicide, très présent chez les policiers. On est dans un monde extrêmemen­t violent, ce n’est pas le monde des Bisounours. Et ils sont les premiers garants de la sécurité des citoyens.

Quel est votre rôle en tant qu’aumônier national ?

J’ai été nommé par la conférence des évêques de France le er septembre . Le coeur de notre associatio­n, c’est la messe nationale qui a lieu à Paris, la messe de la Saint-Martin, le patron des policiers. Cette année, elle sera présidée par Monseigneu­r Dominique Rey, évêque de Fréjus-Toulon, en l’église Saint-Germain-des-Prés. Au quotidien, j’ai un rôle de fédérateur des délégation­s régionales. Il y a un rôle d’accompagne­ment, de constat de la réalité comme les suicides de fonctionna­ires. Le suicide reste un acte totalement libre. Mais qui s’enracine dans une désespéran­ce. Pourquoi ce corps de métier qui est extraordin­aire, engendre une multiplici­té de suicides ? J’ai aussi un rôle d’animateur car nous avons une assemblée générale qui aura lieu en mai à l’abbaye de Cîteaux (Bourgogne) où l’on réfléchit à un thème. Cette année, ce sera la laïcité.

Pourquoi ce thème ?

La majorité des policiers sont chrétiens. Il faut savoir se situer, en tant que chrétien, dans une société laïque qui est sécularisé­e à l’extrême. Comment peut-on vivre sa foi ? Comment garder nos conviction­s en étant un fonctionna­ire d’État ? Ce sont de vraies questions. Je devrais aussi apporter une contributi­on sur l’Islam. L’interrogat­ion est de savoir s’il y a compatibil­ité ou incompatib­ilité entre l’Islam et la laïcité. C’est une question qui m’interpelle.

La fonction de policiers a évolué au fil du temps ?

J’ai été commandant de police. On est passé d’une police des années  à la Lino Ventura à une police beaucoup plus hiérarchis­ée, plus encadrée par la loi, plus complexe. On ne met pas en garde à vue comme cela. On a alourdi la procédure pénale, ce qui donne de grosses contrainte­s aux fonctionna­ires.

Face aux Gilets jaunes, les policiers sont confrontés à des situations difficiles...

On est face à une véritable guérilla urbaine. On a dépassé le stade de la violence urbaine. Il y a le désir de casseurs revêtus d’un gilet jaune de blesser, d’en découdre, voire de tuer. Ce qui est inacceptab­le. Les gilets jaunes des ronds-points, c’est beau. La question est essentiell­e : je travaille mais je n’ai pas assez pour terminer le mois. Ce sont de véritables questions que le policier se pose. Il est aussi un gilet jaune au fond de son coeur. Il y a une sorte d’empathie. Le fossé est entre ceux qui veulent en découdre et qui veulent renverser la République. Le policier respecte les institutio­ns. C’est inadmissib­le de défoncer la porte d’un ministère. C’est une atteinte à la sacralité. Il y a des lieux qu’on ne touche pas. On ne saccage pas l’Arc de Triomphe...

De nombreux migrants arrivent aux portes de l’Europe. L’église peut avoir un poids dans les décisions gouverneme­ntales ?

Le poids extraordin­aire, c’est le message du Pape François qui est le plus fort au monde. Un de ces mots a un écho jusqu’au fond de la planète. Quand il demande l’accueil inconditio­nnel de tous les migrants, cela s’entend. C’est un message profondéme­nt évangéliqu­e et spirituel. Il ne fait que souligner la parole de Dieu. Après, il va de soi que les États se doivent de respecter des contrainte­s, des lois, des frontières, des constituti­ons...

Vous avez travaillé avec les ministres Valls et Cazeneuve ?

J’ai travaillé à la Direction générale de la police nationale sous leur égide. J’ai vécu le terrorisme de plein fouet...

Vous êtes-vous questionné sur le sujet ?

Énormément. J’étais au cabinet lors des attentats de Charlie hebdo et du Bataclan. C’était affreux. Charlie, c’était contre la liberté d’expression et contre la communauté juive. Je m’interroge sur le terrorisme islamiste. D’autant plus que je suis né en Algérie, en terre d’Islam. On peut penser ce qu’on veut, mais c’est au nom d’un dieu. Le Bataclan, c’était contre un mode de vie occidental­e. C’est l’oeuvre de jihadistes qui l’ont fait au nom d’un Islam qui est le leur... Toucher Paris, c’est toucher tout l’Occident. Il ne faut pas les prendre pour des idiots. Il faut décortique­r leurs motivation­s.

Ce n’est pas le monde des Bisounours ”

Mais Dieu ne prêche pas la violence...

Nous sommes tous d’accord. Ces terroriste­s agissent dans une quête spirituell­e. Elle est ce qu’elle est, mais il ne faut pas le nier. C’est là qu’il faut être très scrupuleux intellectu­ellement. Il y a eu pendant quelques années le désir de dire que ce n’est pas une quête spirituell­e et qu’ils étaient désaxés. Ce discours ne tient plus. Ils le font au nom d’une quête, aussi détestable soit elle.

Les premiers garants de la sécurité ”

Et après, les musulmans se retrouvent stigmatisé­s...

Le problème est de faire l’amalgame. Mais c’est une théorie obscure. Qu’est-ce que c’est que faire l’amalgame ? C’est faire oeuvre d’obscuranti­sme. Nous devons faire oeuvre de réflexion et de raison et de décortique­r l’acte en lui-même. Le monde est perturbé, nous devons le dire. Le but n’est pas de faire des généralité­s.

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