« Le sentiment que le vivre-ensemble est menacé »
Bernard Sananès, président du cabinet Elabe, est né à Nice. Il n’en a été que plus attentif aux résultats pour le Sud de la France de cette grande enquête nationale inédite.
Ce qui frappe, c’est l’extrême contradiction des sentiments qui traversent les Français…
Nous avons effectivement perçu un contraste saisissant, sur le plan national comme régional, entre le bonheur privé et la souffrance sociale. On a des Français qui sont heureux, qui disent en gros avoir choisi la vie qu’ils vivent mais qui, en même temps, sont pessimistes sur la société française et, parfois, sur leur territoire. Tant qu’on est dans un cocon personnel, on conserve un bonheur privé, mais dès qu’on se trouve confronté à la dureté de la vie quotidienne, la souffrance est forte. Deux éléments reviennent nettement : le manque de pouvoir d’achat et l’impression d’injustice sociale. Quand on voit le nombre de Français régulièrement à découvert, on comprend mieux pourquoi le sujet du pouvoir d’achat arrive en tête des priorités de nos concitoyens. Il y a aussi le sentiment, plus accru en Paca qu’ailleurs en raison du poids des retraités, que la situation financière de chacun s’est dégradée au cours des douze derniers mois. En Paca, le ressenti est plus vif également que la société dans laquelle vivaient nos parents était plus juste.
Les résultats de cette enquête ont-ils constitué une surprise pour vous ?
Outre le contraste évoqué entre le bonheur privé et la souffrance sociale, l’autre élément marquant de cette enquête est qu’elle vient en partie tordre le cou à tout ce qui a été dit sur les fractures territoriales. On mesure, en fait, que les fractures sociales sont plus déterminantes que les fractures territoriales, même si celles-ci existent aussi sur certaines parties du territoire. Nous ne disons pas qu’il n’y a pas de fracture territoriale, mais pour tout ce qui relève de l’optimisme personnel et de la capacité à se projeter dans l’avenir, la fracture est d’abord sociale et se fait sur des critères économiques.
Cette enquête a été réalisée au pic du mouvement des Gilets jaunes. A-t-il beaucoup influencé les réponses ?
C’est plutôt l’inverse. C’est le sentiment de déclassement et de perte du pouvoir d’achat, enregistré depuis début , qui a fait naître ce mouvement. Notre enquête n’était pas une enquête Gilets jaunes. En interrogeant personnes, dont en Paca, nous avons essayé de sonder la France en profondeur.
Une des caractéristiques de Paca est la fragilité de son vivre-ensemble…
En effet. On retrouve cela de façon marquée dans deux régions, en Paca et en Île-de-France. Quand un habitant sur trois affirme que le premier défaut de sa région, ce sont ses habitants, cela exprime quelque chose d’extrêmement fort. Les indicateurs sont très frappants là-dessus.
Les élus sont également moins bien considérés qu’ailleurs en région Paca. Votre analyse sur ce désamour ?
Comme s’est installé le sentiment que le vivre-ensemble est menacé, forcément, les institutions, qui en sont a priori garantes, sont plus mal notées qu’ailleurs. On retrouve cette tendance vis-à-vis de l’Europe, davantage accusée en Paca de ne pas maîtriser les flux migratoires. Pour être quand même positif, malgré la souffrance sociale et ce problème de vivre-ensemble, l’attachement au territoire reste toutefois marqué, dans la mesure où on rejoint la région Paca par réelle envie d’y vivre.
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