« Chez les salariés, la gamelle a remplacé le resto le midi »
La PME azuréene Europliage a été citée en exemple par le ministre de l’Economie, pour avoir intéressé ses troupes aux résultats. Mais cela ne suffit pas à enrayer la crise du pouvoir d’achat
«Monsieur le Ministre... » Vendredi dernier, dans la zone industrielle de Saint-Laurent-du-Var (Alpes-Maritimes), une effervescence inhabituelle se mêle à la symphonie mécanique, chez Europliage. Cette PME pleine de vitalité, qui a fait sa réputation avec ses portes blindées, ouvre grand les siennes à Bruno Le Maire. Le grand débat national est passé par là. Le ministre de l’Economie et des Finances est venu promouvoir les réformes engagées, ainsi qu’un secteur sous-considéré : « L’industrie du XXIe siècle, ce n’est pas Germinal ! » L’occasion pour les 22 salariés d’Europliage, aussi, de dire leur quotidien. Leurs missions. Leurs craintes. Leurs espoirs.
Motiver ses troupes
Cette entreprise, qui réalise près de 3 millions de chiffre d’affaires, n’a pas été choisie au hasard. Depuis 2004, sa patronne et fondatrice, Rachel Paire, a misé sur l’intéressement aux résultats. Banco : Bruno Le Maire vient vanter la défiscalisation de ces gains, depuis le 1er janvier. « Message à toutes les PME des Alpes-Maritimes : faites comme Rachel Paire ! Versez de l’intéressement à vos salariés, parce que c’est juste et efficace » ,harangue le ministre, qui a troqué sa veste pour le gilet Europliage. « C’est une juste récompense, acquiesce Stanislas Lepeltier, directeur marketing et commercial d’Europliage. Si vous avez des gens motivés, qui viennent au travail avec le sourire, ce n’est pas juste que seuls les dirigeants en profitent. » Rachel Paire, qui a créé sa société en 1990, a su insuffler à ses troupes « une vraie culture d’entreprise : la persévérance, la capacité à bien s’entourer », salue Bastien Vendetta, technico-commercial de 40 ans. Soudeurs, plieurs, peintres, manutentionnaires, dessinateurs industriels... Tous sont « très responsabilisés au sein de leurs pôles », selon Stanislas Lepeltier. Chacun incarne une facette du métier de chaudronnier – « un terme qu’il faut moderniser. Car on peine à recruter. » Le secteur est en tension. Ici, les salaires médians démarrent entre 1600 et 1700 euros, selon Grégory Paire.
« Objectif : survivre »
Ce technico-commercial de 33 ans est le fils de la gérante. Pourtant, il le constate : ici aussi, la vie est de plus en plus dure. « L’objectif, c’est de survivre. Je ne parle pas pour moi, mais pour les autres salariés. Il faudrait plus de pouvoir d’achat, moins de charges sociales, et pouvoir recruter plus d’employés. » Grégory Paire poursuit, l’air soucieux : « Les salariés s’appauvrissent. Ça s’est aggravé depuis deuxtrois ans. Avant, je les voyais aller au restaurant avec leurs tickets restos. Aujourd’hui, ils viennent plutôt avec des gamelles le midi. Ils sont debout toute la journée, ils transpirent, alors si à la fin du mois, ils ne peuvent pas se payer un resto... » Malgré la bonne tenue de la PME et l’implication de ses salariés, la crise du pouvoir d’achat est bien là, latente, cachée derrière les cisailles et les plieuses à commande numérique. Les temps sont durs pour les salariés comme pour les sociétés, soupire Bastien Vendetta. Il aimerait « que les charges soient harmonisées avec les autres pays, pour qu’ils soient assujettis au même droit des sociétés que nous. » Attablée au côté de Bruno Le Maire le temps d’un débat collectif, Rachel Paire tape sur la table : «On marche sur la tête ! On paie beaucoup trop de choses, sans comprendre pourquoi. On croit que tout se résout par plus de prélèvements, alors que ça bloque le pays ! » Le ministre prend note. Avant de plier bagage, il promet : « Je travaille avec Gérald Darmanin pour être plus transparent sur où va l’impôt. »