La violence du quartier racontée par les écoliers
Les CM2 de l’école Longepierre ont rencontré la députée Geneviève Lévy pour lui parler du quotidien des enfants grandissant dans une cité gangrenée par le trafic de stupéfiants. Glaçant
Des sorcières effrayantes, des monstres affreux et des dragons terribles. Dans les cauchemars des enfants de 9 ou 10 ans, ce sont ces figures qui doivent générer les terreurs nocturnes. Sûrement pas des dealers, des coups de feu et des flaques de sang. Vendredi pourtant, c’est de ces images terrifiantes que les écoliers d’une classe de CM2 de l’école Marius Longepierre ont parlées avec la députée Geneviève Lévy. Des visions qui malheureusement ne hantent pas uniquement leurs nuits, mais leur quotidien. Pire, elles ne sont pas alimentées par des séries télévisées trop violentes, mais par ce qui se passe au pied des immeubles de leur quartier des OEillets.
« On voit du sang »
« Des fois, quand on sort de chez nous, on voit du sang. On ne doit pas voir des choses comme ça à notre âge, murmure une petite fille à queue-de-cheval. « Moi, un matin, j’ai vu plein de sang. C’était horrible, confirme une de ses camarades. J’ai aussi vu des gens qui faisaient le trafic de drogue. Ça m’a choqué les yeux ». Un traumatisme qui génère peur et honte chez les enfants dont le sommeil est régulièrement interrompu par des échanges de coups de feu sous leurs fenêtres. « On se sent emprisonnés chez nous parce qu’on n’ose pas sortir, explique une troisième à la tresse bien serrée. On aimerait bien sortir juste pour jouer le mercredi, mais on ne peut pas. Quand on sort de chez nous, c’est seulement pour aller à l’école ». « Et même quand je rentre du sport, vers 17 ou 18 heures, je commence à avoir peur, avoue un peu gêné un garçon, confiant avoir été terrorisé après avoir croisé un homme en sang armé d’un couteau. « J’ai l’impression que les trafiquants veulent nous pousser à déménager pour avoir leur territoire, poursuit timidement un autre avec ses grands yeux tristes et inquiets. « On n’a même pas envie d’inviter notre famille à la maison. On a peur pour eux ».
Peur de devenir des dealers
« Certains enfants nous expliquent aussi qu’ils craignent de devenir des dealers quand ils seront grands parce qu’à 9 ou 10 ans, des grands leur ont déjà mis en tête que plus tard, ce sont eux qui prendront leur place, se désole Myriam Farsac, coordinatrice du réseau REP + du collège Maurice Genevoix. Avec l’institutrice Nathalie Ghionga, elle a organisé la rencontre hier avec la députée. « Le mal-être était déjà dans le quartier, mais il s’est accentué après la fusillade mortelle de fin novembre. Ça a été un moment très douloureux dans l’école. Cinq élèves étaient partis parce que leur famille ne voulait plus vivre dans le quartier. Les enfants avaient alors décidé d’écrire une lettre au Président de la République et de le transmettre à la mairie et à la députée. C’est cette lettre qui a été à l’origine de la rencontre d’aujourd’hui ».
La députée navrée... et épatée
Sous le choc de ce qu’elle vient d’entendre, Geneviève Levy vacille. Navrée de la violence crue et sans fioriture des récits, elle s’accroche en saisissant « le courage et l’intelligence » des écoliers. Bien sûr, elle ne découvre pas les problèmes de Sainte-Musse, mais l’avoue : « Le témoignage de ces enfants, marqués par leur quotidien ne peut pas laisser insensible. Pour moi, c’est plus important que de nombreux discours que j’ai entendus». La parlementaire admet au passage être épatée par la maturité des bambins qui se construisent dans un monde de violence.
Force de propositionS
Pas question cependant pour les écoliers de se limiter à décrire et déplorer en attendant que les adultes réagissent. Ils comptent aussi être acteur de la bataille et ont annoncé leur intention de faire circuler dans le quartier un questionnaire pour recueillir le ressenti des habitants et faire des propositions concrètes. « Ils parlent par exemple de mettre des caméras cachées, un portail à code à l’entrée des OEillets ou d’organiser une assemblée générale des enfants du quartier, explique l’institutrice qui les encourage dans cette démarche de réaction. Une initiative qui séduit d’emblée Geneviève Lévy. En expliquant aux enfants que le gouvernement vient de promettre des renforts de police dans les quartiers, elle leur annonce qu’elle attend dans les prochaines semaines la visite de Laurent Nuñez, le numéro 2 du ministère de l’intérieur. Elle se propose donc déjà de lui remettre ce questionnaire et pourquoi pas de le faire venir aussi dans la classe. Comme de nombreux adultes, il aurait sans doute beaucoup à apprendre de la parole des enfants et ferait peut-être à son tour des cauchemars.