Un Niçois grièvement blessé réclame , M€ d’indemnités
Il s’agit là d’un dossier particulièrement singulier... pour ne pas dire rocambolesque ! » En prenant la parole face à la juge, Me Laurent Nicolas donne le ton. Affaire atypique, en effet, que ce dossier examiné, mardi dernier, par la 3e chambre civile du tribunal de grande instance de Nice. L’audience marque une énième étape dans cette affaire aux multiples rebondissements, qui dure depuis plus de dix ans. « L’enjeu est d’importance », relève la magistrate, Dominique Seuve. Et pour cause : la victime réclame 2,6 millions d’euros d’indemnités. Le prix de sa souffrance. Le prix d’une vie fauchée en plein envol. Tout bascule le 9 août 2008 à Nice, au début de la promenade des Anglais, face au casino Ruhl. Hichem (1), 26 ans, circule à moto sur la chaussée nord quand une voiture vient lui « rentrer dedans. J’ai volé à 40 mètres », se souvient-il. Il souffre de multiples fractures. Le tournant d’une vie. Le début d’un parcours du combattant.
« Un homme détruit »
Thierry, le trentenaire qui l’a renversé, peine à reconnaître ses torts. En 2010, le voilà condamné pour blessures involontaires, sans permis. Sanction pénale : deux mois de prison avec sursis. Place alors à la procédure civile et à la délicate question de l’indemnisation. À l’époque de l’accident, Hichem est un jeune chef d’entreprise, issu d’une famille de sportifs de haut niveau. L’accident lui laisse un bras gauche inerte et une infection dans le sang. « C’est un homme physiquement détruit, qui doit en outre subir de multiples procédures », s’insurge son avocat.
Un détective privé chargé de le suivre
Mais le conducteur fautif, sommé de régler l’addition, contre-attaque. Thierry envoie un détective privé surveiller les faits et gestes d’Hichem. Il le suspecte d’en rajouter. Voire de simuler. Il constitue ainsi un rapport à charge, qu’il confie à la justice. En 2012, Thierry porte plainte pour tentative d’escroquerie au jugement. À son tour, Hichem est renvoyé en correctionnelle à Nice. S’ensuit une joute entre pénalistes réputés en 2015 : d’un côté Me Éric Dupond-Moretti, de l’autre Me Patrick Maisonneuve. Le premier obtient la relaxe d’Hichem. Son honneur est sauf. Côté civil, les expertises se succèdent, entre Nice et Lyon. Jusqu’à la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2013. La cour établit le préjudice de Hichem à 271 000 euros. Reste qu’aujourd’hui, à 37 ans, celui-ci en réclame dix fois plus.
« Pas de crucifixion »
« Son état de santé s’aggrave de jour en jour. Il présente un traumatisme extrêmement sévère et “chronicisé” », soutient Me Nicolas à l’audience civile. Outre les impacts physique et psychique, le jeune chef d’entreprise fauché en pleine jeunesse, déplore un préjudice économique majeur. L’avocat réclame une provision de 800 000 euros. Il souhaite que l’on « cesse d’entretenir un climat de suspicion » autour de son client. Ce dernier n’a pas voulu assister aux débats. «Tropdur» , justifierat-il, joint à l’issue du procès. Il n’aura donc pas entendu la partie adverse parler de « souffrance surévaluée » , de « chiffrage contestable ». « L’objet n’est pas de dire que les experts font mal leur travail, ni que [Hichem] est un escroc qui cherche à tromper la juridiction, tempère Me Guillaume Guerra, au nom de Thierry. Ce qui pose problème, c’est que [son client] n’avait pas de permis de conduire lors de l’accident. Il est ainsi tenu de rembourser personnellement le préjudice. Mais nous ne sommes pas là pour faire sa crucifixion ! »
Nouvelle contre-attaque
La balle est renvoyée dans le camp de l’assureur de Thierry. Or MMA n’entend pas assumer les dégâts. Et surtout pas à ce niveau-là. « Pour moi, [Hichem] est véritablement une victime. Il a été indemnisé et n’a jamais accepté de l’être si peu », estime Me Alain Barbier. L’avocat de l’assureur pense qu’Hichem souffre de sinistrose, ce trouble pathologique qui consiste à « amplifier son trauma ». Quant aux exigences financières, « elles ne correspondent pas à l’examen clinique et aux éléments objectifs du dossier ». L’objectivité ? C’est là que le bât blesse, selon Me Nicolas. À ses yeux, le rapport du détective privé a biaisé l’expertise décisive. Hichem n’a pas digéré. Et n’entend pas en rester là. Il a engagé des poursuites pour dénonciation calomnieuse. En attendant cette nouvelle affaire, la chambre civile rendra sa décision le 24 avril. (1) Son prénom a été modifié à sa demande.