Var-Matin (La Seyne / Sanary)

F. Parly : « La France va recruter   cyber-combattant­s »

Attendue ce matin à Toulon, où elle assistera à l’appareilla­ge du groupe aéronaval, la ministre des Armées nous a accordé une interview. Daech, Mali, cybersécur­ité… Elle n’élude aucun sujet

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@vartain.com

Vous venez à Toulon pour l'appareilla­ge du groupe aéronaval. Quel est l'objectif de ce déploiemen­t ? Le départ en mission du porteavion­s répond à trois objectifs majeurs pour la France. Un : la protection des Français. Durant un mois entier, le Charles-deGaulle intégrera la coalition contre Daech. Deux : l’ambition européenne de la France, car ce déploiemen­t rassembler­a des bâtiments britanniqu­es, danois, italien et portugais. Trois : le rayonnemen­t de la France. À chaque étape, en Méditerran­ée, dans l’Océan Indien, des exercices seront menés avec de nombreux pays partenaire­s pour renforcer nos coopératio­ns.

Certains observateu­rs des questions militaires pensaient que le Charles-de-Gaulle irait jusqu'en mer de Chine méridional­e. Pourquoi ne s'y rend-il pas finalement ?

Il n’a pas été envisagé que le groupe aéronaval se rende en mer de Chine méridional­e cette année. Le programme est déjà bien plein pour cette campagne ambitieuse : après un long périple, le porte-avions atteindra Singapour. Mais le fait que nous n’envoyions pas   tonnes d’acier et de puissance de combat en mer de Chine méridional­e ne signifie nullement que nous ayons changé d’avis sur cette zone. Le droit à la libre navigation doit y être respecté et nous continuero­ns de le faire savoir par des déploiemen­ts réguliers.

Revenons au Moyen-Orient : depuis plusieurs semaines, les médias annoncent la fin imminente de l'État islamique. Dans les faits, c'est pour quand ?

Daech est à terre mais n’a pas disparu. La fin de la dernière poche de ce qu’on appelle le califat territoria­l est imminente. Les soldats de Daech sont en désordre et les combats plus que sporadique­s. C’est une grande avancée, mais il faut voir plus loin. Le groupe est en train de muer, il se reforme, ailleurs, et différemme­nt. Il faut célébrer nos victoires d’aujourd’hui, mais surtout s’atteler au défi de demain, car il est de taille. La fin du territoire de Daech sera une étape historique, mais qu’une étape cependant.

Après la chute des derniers kilomètres carrés tenus par Daech en Syrie, la France maintiendr­a-t-elle une présence

militaire sur place ? À l’issue de la chute du pseudocali­fat territoria­l, il faudra poursuivre notre combat contre les éléments résiduels de Daech qui nous menacent, tout en continuant à former les forces irakiennes afin qu’elles soient en mesure de contrôler de façon autonome leur territoire. De ce fait, comme nous l’avons fait depuis le début, notre présence militaire au Levant se poursuivra en s’adaptant à l’évolution de la situation.

Confirmez-vous le décès de Fabien Clain et la blessure de son frère cadet ?

Comme je l’ai déjà déclaré, il est très probable que Fabien Clain

() ait été tué et son frère JeanMichel grièvement blessé mercredi  février. Si c'est bien le cas, les Français qui se souviennen­t de ses appels au meurtre et de son rôle dans le pseudo-État islamique en seront sûrement soulagés.

Puisqu'on évoque les djihadiste­s français, votre position a évolué à leur sujet. Vous n'êtes plus opposée à leur retour en France. Pourquoi ?

S’agissant de personnes parties sciemment combattre dans les rangs de Daech, la position française comme ma position n’ont pas changé : elles doivent faire face aux conséquenc­es de leurs actes là où elles les ont commis. À ce stade, nous sommes confiants dans la capacité de nos alliés locaux à assurer leur garde. Si ces forces décidaient cependant de les expulser vers la France, ceux ayant volontaire­ment rejoint une organisati­on terroriste qui combat dans cette zone, qui a commis et fomente encore des attentats en France, seraient immédiatem­ent remis à la justice. Notre doctrine n’a pas changé, la situation sur place a changé. Le président de la République est guidé par un principe simple : la sécurité des Français. Les terroriste­s en question attendent leur jugement entre quatre murs, de préférence en Rojava

() ou en Irak, où ils se sont si tristement illustrés.

Malgré des victoires récentes au Sahel, notamment l'éliminatio­n de Yahia Abou al-Hamman au Mali, les attentats se multiplien­t. Une pacificati­on rapide de la région est-elle

envisageab­le ? Ne nions pas les défis : il faut sécuriser un territoire de la taille de l’Europe. Mais j’ai vu au Mali la semaine dernière des signes encouragea­nts. Barkhane multiplie les succès opérationn­els contre les terroriste­s, en coopératio­n avec les forces locales qui s’approprien­t leur sécurité, dans le cadre du G Sahel. La situation sécuritair­e reste un point d’attention permanent mais nous allons dans le bon sens. Enfin, la mobilisati­on européenne reste forte, l’engagement militaire des Espagnols, Britanniqu­es ou Estoniens le montre. Les Danois vont nous rejoindre à leur tour ! Tout cela doit permettre le retour de l’État malien et des services publics.

Vous avez révélé que la Marine a fait l'objet d'une cyberattaq­ue sérieuse. La France est-elle prête à affronter de telles menaces ?

La France assume désormais une stratégie cyber offensive, dans le cadre de nos opérations militaires. Nous y mettons les moyens financiers et humains pour traduire nos paroles en actes : d’ici , ce sont , milliard d’euros investis et   cyber-combattant­s supplément­aires recrutés. Que ce soit en cyber défensif ou cyber offensif, nous ne sommes ni en retard, ni naïfs. Il fallait envoyer un message fort à nos partenaire­s mais aussi à nos adversaire­s. Et je profite de la tribune de Var-Matin pour dire que nous recrutons !

La cybersécur­ité fait-elle partie des priorités retenues dans la constructi­on de l'Europe de la Défense que vous appelez de vos voeux ?

La cybersécur­ité est bien sûr au coeur de l’Europe de la Défense. Face à des menaces qui ne connaissen­t pas de frontières, la coopératio­n est clé. Nous travaillon­s déjà avec certains États partenaire­s, qui disposent d’un savoir-faire particulie­r comme l’Estonie. Le fonds européen de Défense, qui devrait être doté de  milliards d’euros, favorisera les enjeux cyber. L’Europe de la Défense ne sera pas crédible sans la composante cyber.

Vous avez annoncé la reprise des recherches du sous-marin Minerve,  ans après sa disparitio­n au large de Toulon. Quel élément vous a poussé à prendre cette décision ?

La disparitio­n de la Minerve a endeuillé les familles des  marins. Les recherches lancées alors sont restées infructueu­ses et n’ont pu aider les familles dans leur deuil. Depuis, les moyens techniques, notamment avec l’arrivée des drones sous-marins, ont nettement progressé et ouvrent aujourd’hui des espoirs, prudents mais réels, de localiser l’épave. J’ai donc demandé à la Marine nationale de relancer ces recherches. Le succès est incertain. Mais l’engagement de ces sous-mariniers, au métier hors normes et disparus au service de la France, nous oblige.

Sécuriser un territoire grand comme l’Europe”

1. La mort de Fabien Clain a été officielle­ment confirmée le 28 février par la coalition internatio­nale en Syrie. 2. Kurdistan syrien.

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