F. Parly : « La France va recruter cyber-combattants »
Attendue ce matin à Toulon, où elle assistera à l’appareillage du groupe aéronaval, la ministre des Armées nous a accordé une interview. Daech, Mali, cybersécurité… Elle n’élude aucun sujet
Vous venez à Toulon pour l'appareillage du groupe aéronaval. Quel est l'objectif de ce déploiement ? Le départ en mission du porteavions répond à trois objectifs majeurs pour la France. Un : la protection des Français. Durant un mois entier, le Charles-deGaulle intégrera la coalition contre Daech. Deux : l’ambition européenne de la France, car ce déploiement rassemblera des bâtiments britanniques, danois, italien et portugais. Trois : le rayonnement de la France. À chaque étape, en Méditerranée, dans l’Océan Indien, des exercices seront menés avec de nombreux pays partenaires pour renforcer nos coopérations.
Certains observateurs des questions militaires pensaient que le Charles-de-Gaulle irait jusqu'en mer de Chine méridionale. Pourquoi ne s'y rend-il pas finalement ?
Il n’a pas été envisagé que le groupe aéronaval se rende en mer de Chine méridionale cette année. Le programme est déjà bien plein pour cette campagne ambitieuse : après un long périple, le porte-avions atteindra Singapour. Mais le fait que nous n’envoyions pas tonnes d’acier et de puissance de combat en mer de Chine méridionale ne signifie nullement que nous ayons changé d’avis sur cette zone. Le droit à la libre navigation doit y être respecté et nous continuerons de le faire savoir par des déploiements réguliers.
Revenons au Moyen-Orient : depuis plusieurs semaines, les médias annoncent la fin imminente de l'État islamique. Dans les faits, c'est pour quand ?
Daech est à terre mais n’a pas disparu. La fin de la dernière poche de ce qu’on appelle le califat territorial est imminente. Les soldats de Daech sont en désordre et les combats plus que sporadiques. C’est une grande avancée, mais il faut voir plus loin. Le groupe est en train de muer, il se reforme, ailleurs, et différemment. Il faut célébrer nos victoires d’aujourd’hui, mais surtout s’atteler au défi de demain, car il est de taille. La fin du territoire de Daech sera une étape historique, mais qu’une étape cependant.
Après la chute des derniers kilomètres carrés tenus par Daech en Syrie, la France maintiendra-t-elle une présence
militaire sur place ? À l’issue de la chute du pseudocalifat territorial, il faudra poursuivre notre combat contre les éléments résiduels de Daech qui nous menacent, tout en continuant à former les forces irakiennes afin qu’elles soient en mesure de contrôler de façon autonome leur territoire. De ce fait, comme nous l’avons fait depuis le début, notre présence militaire au Levant se poursuivra en s’adaptant à l’évolution de la situation.
Confirmez-vous le décès de Fabien Clain et la blessure de son frère cadet ?
Comme je l’ai déjà déclaré, il est très probable que Fabien Clain
() ait été tué et son frère JeanMichel grièvement blessé mercredi février. Si c'est bien le cas, les Français qui se souviennent de ses appels au meurtre et de son rôle dans le pseudo-État islamique en seront sûrement soulagés.
Puisqu'on évoque les djihadistes français, votre position a évolué à leur sujet. Vous n'êtes plus opposée à leur retour en France. Pourquoi ?
S’agissant de personnes parties sciemment combattre dans les rangs de Daech, la position française comme ma position n’ont pas changé : elles doivent faire face aux conséquences de leurs actes là où elles les ont commis. À ce stade, nous sommes confiants dans la capacité de nos alliés locaux à assurer leur garde. Si ces forces décidaient cependant de les expulser vers la France, ceux ayant volontairement rejoint une organisation terroriste qui combat dans cette zone, qui a commis et fomente encore des attentats en France, seraient immédiatement remis à la justice. Notre doctrine n’a pas changé, la situation sur place a changé. Le président de la République est guidé par un principe simple : la sécurité des Français. Les terroristes en question attendent leur jugement entre quatre murs, de préférence en Rojava
() ou en Irak, où ils se sont si tristement illustrés.
Malgré des victoires récentes au Sahel, notamment l'élimination de Yahia Abou al-Hamman au Mali, les attentats se multiplient. Une pacification rapide de la région est-elle
envisageable ? Ne nions pas les défis : il faut sécuriser un territoire de la taille de l’Europe. Mais j’ai vu au Mali la semaine dernière des signes encourageants. Barkhane multiplie les succès opérationnels contre les terroristes, en coopération avec les forces locales qui s’approprient leur sécurité, dans le cadre du G Sahel. La situation sécuritaire reste un point d’attention permanent mais nous allons dans le bon sens. Enfin, la mobilisation européenne reste forte, l’engagement militaire des Espagnols, Britanniques ou Estoniens le montre. Les Danois vont nous rejoindre à leur tour ! Tout cela doit permettre le retour de l’État malien et des services publics.
Vous avez révélé que la Marine a fait l'objet d'une cyberattaque sérieuse. La France est-elle prête à affronter de telles menaces ?
La France assume désormais une stratégie cyber offensive, dans le cadre de nos opérations militaires. Nous y mettons les moyens financiers et humains pour traduire nos paroles en actes : d’ici , ce sont , milliard d’euros investis et cyber-combattants supplémentaires recrutés. Que ce soit en cyber défensif ou cyber offensif, nous ne sommes ni en retard, ni naïfs. Il fallait envoyer un message fort à nos partenaires mais aussi à nos adversaires. Et je profite de la tribune de Var-Matin pour dire que nous recrutons !
La cybersécurité fait-elle partie des priorités retenues dans la construction de l'Europe de la Défense que vous appelez de vos voeux ?
La cybersécurité est bien sûr au coeur de l’Europe de la Défense. Face à des menaces qui ne connaissent pas de frontières, la coopération est clé. Nous travaillons déjà avec certains États partenaires, qui disposent d’un savoir-faire particulier comme l’Estonie. Le fonds européen de Défense, qui devrait être doté de milliards d’euros, favorisera les enjeux cyber. L’Europe de la Défense ne sera pas crédible sans la composante cyber.
Vous avez annoncé la reprise des recherches du sous-marin Minerve, ans après sa disparition au large de Toulon. Quel élément vous a poussé à prendre cette décision ?
La disparition de la Minerve a endeuillé les familles des marins. Les recherches lancées alors sont restées infructueuses et n’ont pu aider les familles dans leur deuil. Depuis, les moyens techniques, notamment avec l’arrivée des drones sous-marins, ont nettement progressé et ouvrent aujourd’hui des espoirs, prudents mais réels, de localiser l’épave. J’ai donc demandé à la Marine nationale de relancer ces recherches. Le succès est incertain. Mais l’engagement de ces sous-mariniers, au métier hors normes et disparus au service de la France, nous oblige.
Sécuriser un territoire grand comme l’Europe”
1. La mort de Fabien Clain a été officiellement confirmée le 28 février par la coalition internationale en Syrie. 2. Kurdistan syrien.