Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« L’image de l’arbitrage a été entachée par cette affaire pathologiq­ue »

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE PERRIN

Me Romain Dupeyré, du cabinet DWF, avocat aux barreaux de Paris et New York, est spécialisé dans l’arbitrage, un mode de règlement des litiges qu’il défend avec vigueur.

Qu’est-ce qu’un arbitrage ?

C’est un mode alternatif de règlement des conflits. La loi française permet à des parties de soumettre leurs litiges à une ou trois personnes. C’est une institutio­n ancestrale, un domaine dans lequel la France a un savoir-faire particulie­r. L’arbitrage a une vraie place dans la culture du droit français. A l’origine, l’arbitrage n’était autorisé qu’entre sociétés, mais la loi s’est assouplie. Il peut être un recours, par exemple, dans un contentieu­x entre copropriét­aires. En pratique, c’est une justice des affaires quand une médiation a échoué.

Quels en sont les avantages ?

La raison objective est que la décision est plus rapide et définitive, qu’il y a en principe moins de recours, même si le conflit Crédit lyonnais-Tapie est un contre-exemple.

Il est aussi rare que des entités publiques soient impliquées…

Dans ce dossier, l’État ne s’est pas opposé à l’arbitrage et la pertinence du recours à cette possibilit­é a été longuement débattue. L’arbitrage, a priori, était une bonne décision. Sur le papier, les arbitres (Estoup, Mazeau, Bredin, un ancien président du Conseil constituti­onnel, un avocat renommé…) étaient honorables et de qualité. Je vous rappelle que Christine Lagarde, ministre de l’Économie de l’époque, a été condamnée mais dispensée de peine. La justice a estimé qu’elle n’avait pas toutes les raisons valables pour recourir à l’arbitrage et, surtout, qu’elle aurait dû lancer un recours contre la décision des arbitres. À mon sens, on peut surtout lui reprocher de ne pas avoir exercé de recours même si la chance de succès était faible. C’est sur ce point qu’elle était le plus critiquabl­e.

La qualité des arbitres sera pourtant au centre des débats…

Effectivem­ent, certains se demandent s’il n’y a pas une manigance d’un arbitre afin d’endormir la sagacité des autres.

Le préjudice moral alloué à Bernard Tapie –  millions d’euros – a choqué le grand public. Et vous ?

Le préjudice moral est souvent reconnu de manière symbolique par la justice. Du coup, c’était choquant, disproport­ionné. Il aurait été plus malin de qualifier cela d’atteinte à l’image commercial­e.

L’annulation d’un arbitrage est-il si rare ?

Le code de procédure civile prévoit des cas très restrictif­s pour les recours en annulation. Le recours en révision, comme dans cette affaire, est encore plus extraordin­aire. Dans le cas d’une révision, le délai de prescripti­on part de la découverte de la fraude.

Ce procès au pénal ne risque-t-il pas de relancer la bataille autour des  M€?

Non. Il a été confirmé par la Cour de cassation que le Crédit lyonnais n’avait pas trompé Bernard Tapie. Ce dernier est condamné à rembourser les sommes perçues, c’est définitif. Aujourd’hui, on va juger des personnes au pénal à qui on impute des comporteme­nts graves. Généraleme­nt, c’est le pénal qui tient le civil en l’état. Là, le volet civil a été jugé avant le volet pénal. Même si des relaxes sont prononcées, cela n’exclut pas une faute au civil.

Vous n’êtes pas dans ce dossier et pourtant vous le connaissez très bien. Est-ce à dire qu’il a bouleversé les règles de l’arbitrage ?

Pour les profession­nels du droit, de nombreuses questions épineuses et passionnan­tes ont été soulevées, au-delà du côté romanesque. Malheureus­ement, cette affaire entache l’image de l’arbitrage. On ne le connaît que par le biais de cette affaire pathologiq­ue, alors qu’il rend beaucoup de service aux entreprise­s. Exemple : une société azuréenne a un contrat avec une société américaine pour livrer des produits au Mexique ; elle va préférer un arbitrage en France ou en Suisse plutôt que de saisir la justice mexicaine.

Comment sont rémunérés les arbitres ?

Les arbitres sont généraleme­nt rémunérés à parts égales par les parties. Étant donné la complexité du dossier, le travail demandé et les sommes en jeu, la rémunérati­on des arbitres dans l’affaire Crédit lyonnais-Tapie (en l’occurrence   € )nem’a pas choqué, même si effectivem­ent, cela représente beaucoup d’argent.

Des fraudes à l’arbitrage sont-elles fréquentes ?

Cela reste rarissime. Il y a très peu d’exemples dans les annales. Une affaire me vient à l’esprit : celle de la succession Vasarely à Aix-en-Provence.

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