Picasso : les époux Le Guennec condamnés
L’extraordinaire histoire d’un modeste retraité azuréen détenteur d’un trésor artistique se termine mal. Pierre Le Guennec, 80 ans, ruiné, a été condamné pour recel à deux ans de prison avec sursis
Cela ressemblait à un conte de fées. Cela se termine en cauchemar pour Pierre Le Guennec, 80 ans, artisan électricien à la retraite de Mouans-Sartoux. Le sort des époux Le Guennec [en médaillon dans le titre], déjà condamnés à deux reprises pour le recel de 271 oeuvres de Pablo Picasso, qu’ils assurent avoir reçues en cadeau, a été tranché, hier, par la cour d’appel de Lyon. Le couple a été une nouvelle fois reconnu coupable et condamné à deux ans de prison avec sursis, peine conforme aux réquisitions lors de l’audience du 24 septembre. L’avocat général Philippe de Monjour était persuadé que les époux Le Guennec « avaient connaissance de l’origine délictueuse des oeuvres ». L’artisan, qui effectuait régulièrement des travaux chez l’artiste dans le mas de Notre-Dame-de-Vie à Mougins, s’était présenté à la Picasso Administration, en 2010 à Paris, avec des dessins, esquisses et collages qu’il disait avoir remisés dans son garage pendant quarante ans.
Claude Ruiz-Picasso, fils de Pablo Picasso, avait aussitôt déposé plainte. Il n’a jamais cru au récit de l’artisan eu égard à la qualité de conservation des oeuvres et aux commentaires écrits qui les accompagnaient. Le couple a été condamné en première instance à Grasse à deux ans de prison avec sursis, peine confirmée en appel à Aix-en-Provence. Les avocats de la défense, Me Antoine Vey et Me Eric Dupond-Moretti s’étaient alors pourvus en cassation. La plus haute juridiction avait cassé l’arrêt aixois, estimant que l’origine frauduleuse des oeuvres était insuffisamment démontrée. Pas de vol, pas de recel. C’est en substance ce qu’ont essayé de démontrer les avocats de la défense, peu aidés il est vrai par les changements incessants de versions de leurs clients. Pierre et Danielle Le Guennec avaient d’abord affirmé que «cemagnifique cadeau », était survenu du vivant de Picasso et avec son accord. Ils ont ensuite déclaré que c’était la veuve de Picasso, Jacqueline, dont ils se disaient les amis, qui leur avait fait ce cadeau après la mort du peintre alors que l’ambiance entre héritiers était déjà conflictuelle.
Un trésor artistique
Au total, les 271 oeuvres inédites, dont de rares collages cubistes, toutes datant de 1900 à 1932, étaient en dépôt à la Banque de France. Ils devraient être restitués aux héritiers. Une collection peu spectaculaire pour le profane mais un trésor pour les historiens de l’art. Me Jean-Jacques Neuer, conseil de la Picasso Administration, se félicite de cet épilogue judiciaire après de dix ans de bataille. « C’est la fin d’une mystification. Depuis le départ, nous avons été confrontés à sept avocats et professeurs de droit, rappelle l’avocat parisien. Si vous avez 271 oeuvres de Picasso, vous devez avoir un certificat pour les vendre sur le marché international. Si vous dites que ces oeuvres sont tombées du plafond, il y a peu de chance qu’on vous croie. Il faut raconter une histoire. » Selon la Fondation Picasso, des marchands d’art ont utilisé les retraités pour blanchir ces oeuvres volées. « Je suis très heureux que la justice ne soit pas dupe, sourit Me Neuer. La motivation de l’arrêt en quarante-etune pages est parfaite. Il reste une amertume. Certains ont voulu y voir une histoire de lutte de classes. Certains intellectuels y étaient sensibles. La bataille de l’opinion aura été la plus difficile à mener. »