Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Bocuse et Michelin : un scandale, vraiment ?

- L’ÉDITO de JACQUES GANTIÉ Critique gastronomi­que du groupe Nice-Matin edito@nicematin.fr

Fin d’une belle histoire... Vous la connaissse­z ! « Si Paul Bocuse m’était conté ». Une histoire pour grands enfants. Le Guide Michelin a brisé le rêve en jugeant que l’Auberge du Pont de Collonges, le restaurant de Paul Bocuse,  étoiles sans discontinu­er depuis , n’en valait plus que deux. La nouvelle, révélée par Le Point à dix jours de la présentati­on du guide , « fait l’effet d’une bombe »... Mais l’effet est refroidi comme un saucisson lyonnais qui aurait traîné en route ou une volaille de Bresse demi-deuil pleurant l’une de ses proches. Heureuseme­nt, peu de victimes, sinon quelques plumes criant au scandale et au crime de lèse-patrimoine. Bocuse, nous l’avons aimé pour tout ce qu’il était. Cuisinier du bon sens, précurseur, showman de génie, ambassadeu­r d’une certaine idée de la France, parrain, fort en verbe, « empereur des gueules »... De son vivant, on ne touchait pas à Bocuse ! Qui aurait eu l’idée saugrenue de déboulonne­r la statue et de dégrader l’ambassadeu­r de la tête de veau et du brochet en croûte ? On l’aimait comme une page de l’histoire de France et on quittait Collonges comme on sort du musée. Instruit, régalé, heureux même. Mais avait-on si bien mangé ? Pas toujours, pas vraiment. On critiquait un peu, sous le manteau, mais qu’importe, on avait « fait Bocuse » et c’était bien. Aujourd’hui est une autre histoire. C’est toujours une autre histoire quand disparaît un maître. On ne pardonne pas aux disciples. J’ignore ce que les inspecteur­s ont goûté, comment, à quelle heure et de quel appétit. Je ne sais pas davantage ce que retiendra l’équipe qui cuisine « La Tradition en Mouvement » censée être fidèle à l’ADN bocusien. Mais il me semble que l’étoile qui leur file entre les mains avait déjà pâli du temps de « M. Paul » et que le feu sacré n’y était plus. Il me semble « en même temps » que la sévérité soudaine du guide, deux ans après sa mort, n’est pas très gentleman et fleure le coup marketing. Après avoir exécuté des chefs comme Haeberlin et Dutournier – ne mettons pas l’affaire Veyrat dans le même chapeau – pour courir après les hyper créatifs, Michelin s’achète une conduite jeune qu’elle maîtrise mal. Il me semble enfin que la vie des chefs, des restaurant­s et des clients a changé au point de rendre « l’affaire » bien dérisoire. Et pour en plaisanter, un seul être nous manque. Paul Bocuse.

« On l’aimait comme une page de l’histoire de France et on quittait Collonges comme on sort du musée. Instruit, régalé, heureux même. »

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