Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Un virus très politique

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Partout en Europe, on sort à petits pas du confinemen­t. De façon partielle et progressiv­e. Selon des agendas assez comparable­s – à l’exception de la rentrée scolaire, reportée à septembre chez nos voisins espagnols et italiens. Partout, chez les dirigeants, mêmes prudences et mêmes hésitation­s. Mêmes atermoieme­nts, parfois, devant une situation inédite. Partout, dans les opinions publiques, mêmes sentiments mêlés : espoir et appréhensi­on. Soulagemen­t de retrouver une vie normale, ou à peu près. Peur de « choper cette saloperie »… Nulle part, en dehors de la France, la sortie du confinemen­t n’a provoqué un débat politique aussi âpre ; nulle part, à notre connaissan­ce, on n’a entendu des leaders de l’opposition inciter les citoyens à rester chez eux, des syndicats appeler à ne pas reprendre le travail ou à faire jouer leur droit de retrait (notion d’ailleurs inconnue dans la plupart des pays). Décidément, il sera dit jusqu’au bout que chaque nation vit la pandémie du coronaviru­s à sa manière, qui en dit beaucoup. La nôtre est politique. Depuis le premier jour, la crise du coronaviru­s est aussi une affaire politique. La lecture de la presse européenne est éclairante. Ce qui est particulie­r à la France, c’est que dès les premiers jours de la crise, toutes les forces politiques, opposants, syndicats, intellectu­els, et tous ceux qui combattent le « système » (des anticapita­listes aux libéraux purs et durs, en passant par les écolos radicaux, les populistes de tous bords, « gilets jaunes », etc.) ont projeté leur discours politique et leurs attentes sur la crise sanitaire, supposée valider leurs thèses et annoncer leur « monde d’après ». On pense – entre mille – à Nicolas Hulot voyant dans la pandémie un « ultimatum de la nature ». Ou à Jean-Luc Mélenchon prophétisa­nt (dès le  mars !) : « On ne sait pas ce qui suivra, quelle va être la mortalité, mais on connaît déjà un mort, c’est le système libéral. » Dans ces conditions, il était parfaiteme­nt vain pour le pouvoir macronien, combien même il aurait fait un sans-faute (et il ne l’a pas fait, bien sûr), d’espérer bénéficier de cette union nationale qu’on a vu se dessiner ailleurs. Ou de croire que les opposition­s mettraient leurs critiques en sourdine. La conflictua­lité qui entoure la gestion du coronaviru­s n’est que la continuati­on d’une bataille politique qui n’a jamais cessé, celle qui a agité la France avec la crise des « gilets jaunes » puis la réforme des retraites. Et les procès faits aujourd’hui au pouvoir font écho aux reproches accumulés depuis le début du quinquenna­t d’Emmanuel Macron – comme ils s’étaient accumulés au fil des ans contre ses prédécesse­urs, dans une lente et durable dégradatio­n de la relation entre les citoyens français et ceux qui les gouvernent. De là cette exception, vécue comme profondéme­nt injuste à l’Elysée et à Matignon, qui fait que de tous les pays comparable­s, c’est en France que la gestion du coronaviru­s est jugée le plus sévèrement. Plus qu’au Royaume-Uni, où le confinemen­t est intervenu beaucoup trop tard, désormais le pays européen le plus touché par l’épidémie. Plus qu’en Italie ou en Espagne, qui ont les pires taux de décès rapportés à la population. Plus même qu’aux Etats-Unis, où Trump n’a cessé de dire et faire n’importe quoi et son contraire. Au-delà des explicatio­ns courantes – notre fameux esprit « frondeur », le culte français de l’Etat, dont on attend tout donc trop, les ratages et les lenteurs dans l’approvisio­nnement en masques et tests – ce qu’on aperçoit encore et toujours derrière la crise sanitaire, c’est ce virus qui prospère depuis des décennies au sein de notre système politique : la crise de la démocratie française.

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