Un virus très politique
Partout en Europe, on sort à petits pas du confinement. De façon partielle et progressive. Selon des agendas assez comparables – à l’exception de la rentrée scolaire, reportée à septembre chez nos voisins espagnols et italiens. Partout, chez les dirigeants, mêmes prudences et mêmes hésitations. Mêmes atermoiements, parfois, devant une situation inédite. Partout, dans les opinions publiques, mêmes sentiments mêlés : espoir et appréhension. Soulagement de retrouver une vie normale, ou à peu près. Peur de « choper cette saloperie »… Nulle part, en dehors de la France, la sortie du confinement n’a provoqué un débat politique aussi âpre ; nulle part, à notre connaissance, on n’a entendu des leaders de l’opposition inciter les citoyens à rester chez eux, des syndicats appeler à ne pas reprendre le travail ou à faire jouer leur droit de retrait (notion d’ailleurs inconnue dans la plupart des pays). Décidément, il sera dit jusqu’au bout que chaque nation vit la pandémie du coronavirus à sa manière, qui en dit beaucoup. La nôtre est politique. Depuis le premier jour, la crise du coronavirus est aussi une affaire politique. La lecture de la presse européenne est éclairante. Ce qui est particulier à la France, c’est que dès les premiers jours de la crise, toutes les forces politiques, opposants, syndicats, intellectuels, et tous ceux qui combattent le « système » (des anticapitalistes aux libéraux purs et durs, en passant par les écolos radicaux, les populistes de tous bords, « gilets jaunes », etc.) ont projeté leur discours politique et leurs attentes sur la crise sanitaire, supposée valider leurs thèses et annoncer leur « monde d’après ». On pense – entre mille – à Nicolas Hulot voyant dans la pandémie un « ultimatum de la nature ». Ou à Jean-Luc Mélenchon prophétisant (dès le mars !) : « On ne sait pas ce qui suivra, quelle va être la mortalité, mais on connaît déjà un mort, c’est le système libéral. » Dans ces conditions, il était parfaitement vain pour le pouvoir macronien, combien même il aurait fait un sans-faute (et il ne l’a pas fait, bien sûr), d’espérer bénéficier de cette union nationale qu’on a vu se dessiner ailleurs. Ou de croire que les oppositions mettraient leurs critiques en sourdine. La conflictualité qui entoure la gestion du coronavirus n’est que la continuation d’une bataille politique qui n’a jamais cessé, celle qui a agité la France avec la crise des « gilets jaunes » puis la réforme des retraites. Et les procès faits aujourd’hui au pouvoir font écho aux reproches accumulés depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron – comme ils s’étaient accumulés au fil des ans contre ses prédécesseurs, dans une lente et durable dégradation de la relation entre les citoyens français et ceux qui les gouvernent. De là cette exception, vécue comme profondément injuste à l’Elysée et à Matignon, qui fait que de tous les pays comparables, c’est en France que la gestion du coronavirus est jugée le plus sévèrement. Plus qu’au Royaume-Uni, où le confinement est intervenu beaucoup trop tard, désormais le pays européen le plus touché par l’épidémie. Plus qu’en Italie ou en Espagne, qui ont les pires taux de décès rapportés à la population. Plus même qu’aux Etats-Unis, où Trump n’a cessé de dire et faire n’importe quoi et son contraire. Au-delà des explications courantes – notre fameux esprit « frondeur », le culte français de l’Etat, dont on attend tout donc trop, les ratages et les lenteurs dans l’approvisionnement en masques et tests – ce qu’on aperçoit encore et toujours derrière la crise sanitaire, c’est ce virus qui prospère depuis des décennies au sein de notre système politique : la crise de la démocratie française.