Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Le coiffeur, c’est à la fois le médecin et le sorcier »

Ils échangent des astuces pour entretenir leur couleur, fondent sur les tutos vidéo… et pourtant ils fileront chez le coiffeur dès l’ouverture : décryptage avec Michel Messu, sociologue

- PROPOS RECUEILLIS PAR VIOLETTE LEBEAU / ALP

L’auteur de « Un ethnologue chez le coiffeur » () nous explique les résultats d’un sondage BVA paru fin avril (). Ce dernier montre que les Français, à qui on demandait leurs dix envies immédiates d’après confinemen­t, envisagent entre autres… d’aller chez le coiffeur.

En quoi le confinemen­t a-t-il révélé l’importance des cheveux ?

Il a révélé ce qu’on savait déjà : le cheveu est depuis fort longtemps un objet d’attention aux dimensions personnell­e et sociale fortes. Il se joue beaucoup dans le rapport aux cheveux : le cheveu est un enjeu de représenta­tion, de l’image que l’on offre aux autres. Sans sa crête, le punk n’est plus punk. Le rendez-vous chez le coiffeur rythme aussi nos vies, au point d’être pour certaines personnes un rendez-vous hebdomadai­re auquel on ne déroge pas. Le passage chez le coiffeur est un rituel social : on y va au quotidien, comme dans les moments importants de nos vies, par exemple avant un mariage. Le coiffeur est essentiel, et depuis le confinemen­t, on n’y a plus accès.

Si bien que plus que tout autre profession­nel de l’image, le coiffeur est devenu central !

Le coiffeur, c’est à la fois le médecin – qui soigne l’image – et le sorcier – on ne sait pas faire à sa place. Il évoque aussi le psychanaly­ste, à qui l’on parle pendant qu’il se tient derrière notre fauteuil. Le coiffeur est comme un chamane, avec sa gestuelle particuliè­re. Il tourne autour de nous pendant qu’on est installé sur le fauteuil, ça clique, ça fait du bruit. Et au bout apparaît un être nouveau. Quand on va chez le coiffeur, une renaissanc­e s’opère à chaque fois.

En période de confinemen­t, de quoi le cheveu est-il le symbole ?

Le confinemen­t a entraîné la désynchron­isation des temporalit­és. On ne fait plus rien comme avant : par exemple, on peut aller faire les courses n’importe quand, alors qu’avant on les casait entre le travail et le retour à la maison. On n’a de la même façon plus accès au coiffeur, alors que c’est pour la plupart d’entre nous un rendez-vous régulier. Or, les cheveux continuent de pousser, se mettent à friser ou au contraire à défriser, selon la façon dont on les contraigna­it, les racines apparaisse­nt… Le cheveu reprend ses droits.

Comme une horloge, c’est un des marqueurs du temps qui passe.

Ce retour au naturel forcé est-il plus difficile à vivre pour les femmes, dont on voit qu’elles sont nombreuses à « tricher » avec leurs cheveux ?

Ne dites pas qu’elles trichent : le cheveu naturel n’existe pas ! On a toujours lavé, coupé, paré, travaillé le cheveu. Même les Barbares traitaient leurs cheveux. Laisser ses cheveux sans entretien, c’est paraître négligé. Et les femmes en général n’aiment pas ça. Sans compter que chez les femmes la coiffure est associée à l’attrait, au désir, à la capacité de séduction. Chez l’homme, c’est différent : une belle chevelure est simplement valorisant­e.

C’est une crainte paradoxale, puisque le confinemen­t nous prive d’interactio­ns sociales…

Ce n’est pas tout à fait le cas : on ne va plus au travail, chez les amis, etc., mais on n’est pas coupés du monde. Avec WhatsApp, Skype, Zoom… on est en contact permanent avec les autres. Et puis, le regard des proches – conjoint, enfants – peut aussi compter. Une femme peut se désoler de ne pas leur offrir l’image à laquelle ils sont habitués.

Des clients et des coiffeurs masqués, moins de monde simultaném­ent… Qu’est-ce que les règles sanitaires qui vont être mises en place dans les salons de coiffure vont changer ?

Elles risquent fortement de tuer la conviviali­té. Car plus que le bistrot, où l’on se rend avec des gens qu’on connaît, et avec qui on échange, le salon de coiffure est un lieu de grande sociabilit­é. On s’y assoit, on prend un café, on papote et bien souvent on finit par parler avec le coiffeur et un (e) voisin (e) de bac, quand la conversati­on ne s’étend pas à plusieurs client (e) s. Avec ces visages masqués et ces mesures de distanciat­ion, les salons de coiffure risquent de tous ressembler à ceux qu’on voit dans les gares ou les centres commerciau­x, où l’on sort coiffé sans contact en  minutes.

Le cheveu reprend ses droits. Comme une horloge, c’est un des marqueurs du temps qui passe”

- « Un ethnologue chez le coiffeur ». Fayard, . - « Entre envie et crainte : comment les Français vont-ils se comporter après le déconfinem­ent ? »

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(Photo ALP) Aller chez le coiffeur fait partie des dix envies immédiates que les Français souhaitent réaliser, dès la fin du confinemen­t.

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