Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Pierre Mattei : « Nous allons vers une saison très dégradée »

Malgré le déconfinem­ent se rendre en Corse reste très encadré. À l’approche de l’été, les navires jaunes naviguent en pleine brume. Le Pdg de la Corsica Ferries fait le point

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Comment avez-vous traversé ces deux mois de crise et le confinemen­t ?

Avec beaucoup de difficulté­s comme tout le monde. On s’est montré aussi très concerné par ce qu’il se passait, en particulie­r pour nos équipages, puisque les marins font partie des profession­s qui ont continué à travailler pendant la crise sanitaire. Ils sont de ces métiers importants qui ont permis à tout le monde de vivre le confinemen­t de manière supportabl­e, parce qu’il fallait bien approvisio­nner l’île en marchandis­es et faire traverser les passagers qui avaient absolument besoin de travailler en Corse.

Obligé de réduire le nombre de rotations avec la Corse, à combien estimez-vous les pertes ?

Les pertes sont impossible­s à estimer aujourd’hui. Il faudra faire le calcul à la fin de l’année. Ce qui est certain, c’est que le trafic des passagers s’est réduit à la portion congrue. Cette réduction est de l’ordre de  %. Pour ce qui est du trafic de fret, la baisse est plus faible car, justement, il fallait continuer à approvisio­nner l’île. En mètres linéaires de remorques, on a perdu  % de la mi-mars à aujourd’hui. été notre mission. C’est notre credo, ça fait partie de notre ADN. Nous l’avons démontré par le passé à l’occasion d’autres crises graves, des grèves, des intempérie­s… Nous avons toujours fait face. Et cette capacité que nous avons de faire face très rapidement nous a servis pour réagir à cette crise. Un exemple : lorsqu’il y a eu le problème des déchets qui, ne pouvant pas être incinérés en Corse, devaient être évacués vers le continent et que ça coinçait à Marseille, nous avons aussitôt mis en place un dispositif supplément­aire de navires pour résoudre le problème.

Cette crise intervient après une année  déjà assez maussade…

Oui, mais vous oubliez que nous ne desservons pas que la Corse. Cette baisse de fréquentat­ion sur la Corse avait été anticipée dans notre activité. C’est ainsi que nous avons ouvert de nouvelles lignes qui marchent extrêmemen­t bien au départ de Toulon ou de Nice vers la Sardaigne, les Baléares, la Sicile, l’Île d’Elbe. Toute cette diversific­ation a pris tout son sens lorsqu’il s’est agi d’enregistre­r cette relative baisse de fréquentat­ion maritime de la Corse. Économique­ment, nos résultats se sont donc maintenus. La situation de l’entreprise avant la crise sanitaire du coronaviru­s était tout à fait saine. C’est ce qui fait d’ailleurs que nos banques ont très bien réagi et que nous avons pu faire face à cette crise.

Nous avons été victimes d’une campagne de dénigremen­t”

Le  mai a marqué le début du déconfinem­ent. Comment cela se traduit-il pour votre activité ?

Pour nous, rien n’a changé puisque la limite des  km s’applique aux traversées NiceCorse et Toulon-Corse. Par ailleurs, la limitation à seulement  passagers autorisés à embarquer à bord de nos navires est toujours en vigueur. Je le répète : le déconfinem­ent n’a rien changé pour la Corsica Ferries. Nous avons exactement la même activité, avec les mêmes conditions sanitaires, qu’avant le  mai. La seule nouveauté du post-confinemen­t, c’est l’obligation de porter un masque à bord de nos navires. Pour le reste – l’obligation de cabine, le parcours fléché qui mène les clients directemen­t du garage à la cabine, la restaurati­on servie uniquement en cabine – toutes ces mesures, que nous avons bien entendu conservées, avaient déjà été mises en place pendant le confinemen­t. Pour revenir à la limitation à  passagers, c’est une mesure beaucoup trop contraigna­nte et même absurde. Comment expliquer en effet qu’un avion de  places peut venir à plein en Corse, alors qu’un bateau de  places ne peut venir qu’avec  passagers ? Ça n’a pas de sens. Cette limite nous gêne parce qu’avec le déconfinem­ent l’activité économique redémarre quand même un petit peu. Il y a des besoins de voyage supplément­aires de la part de gens qui ont des motifs réels, mais notre capacité fait malheureus­ement défaut. Pour y palier, on a quand même augmenté la fréquence avec des traversées quotidienn­es entre Toulon, Bastia et Ajaccio.

Aucune date de retour à la normale ?

Aujourd’hui (hier, Ndlr) se tient le comité interminis­tériel sur le tourisme. On aura peut-être des annonces. Pour nous, nos préoccupat­ions principale­s sont de savoir quand on pourra travailler à peu près normalemen­t et comment ? Si on m’annonce que le tourisme peut repartir le  juin, mais qu’on continue à limiter le nombre de passagers à , ce n’est pas la même chose que si toutes les limitation­s sont levées. On a besoin de savoir quand l’activité touristiqu­e va reprendre et dans quelles conditions.

À quelque chose, malheur est bon. Vous êtes prêts pour reprendre un trafic normal.

On est des braves soldats : on nous donne des ordres, on les respecte. Pour la simple et bonne raison qu’on n’est pas compétent en matière sanitaire. On ne s’invente pas des compétence­s qu’on n’a pas. On s’en tient à la réglementa­tion. Le fait d’avoir respecté la réglementa­tion nous a permis de continuer à opérer le service passagers. Et heureuseme­nt qu’on était là puisqu’on était les seuls à permettre à certaines personnes de voyager par la mer pendant le confinemen­t. On a satisfait à des besoins essentiels : des opérateurs de scanner, des chauffeurs de camions qui amenaient du foin au bétail, des soignants qui venaient avec leurs voitures pour relever leurs collègues à Ajaccio… Il y a des services qu’il fallait absolument maintenir et nous les avons maintenus. Du coup, on a acquis un savoir-faire pour gérer les passagers en temps de confinemen­t.

Avec le post-confinemen­t, même si pour l’heure ça ne change pas grand-chose, nos procédures sont parfaiteme­nt rodées. Ça nous permet d’être parfaiteme­nt opérationn­els alors que le trafic va se redévelopp­er.

Les contrainte­s sanitaires vont quand même avoir un impact sur l'offre du nombre de places.

Corsica Ferries est membre d’Armateurs de France et, à ce titre, a participé à l’élaboratio­n du décret du  mai, à la demande du ministère des Transports. Le ministère a tranché. Nous, on applique. Si la règle des  passagers ne s’applique qu’à la Corse, il existe tout un tas d’autres règles sur les cabines, le nettoyage, la distanciat­ion, les masques qui s’appliquent à tout le monde. Cela dit, il est impossible de savoir de combien on devra réduire notre offre de places. Mais aujourd’hui le trafic est tellement faible que la question ne se pose même pas.

Et sur la durée des escales ? Avez-vous dû repenser tout le planning des traversées ?

Mais on ne sait pas du tout ce qu’on va faire cet été. Y aurat-il seulement des clients à transporte­r ? Aujourd’hui, les armateurs ne savent pas quand ils pourront travailler normalemen­t et quelles contrainte­s leur seront imposées. Les clients, qui sont dans la même incertitud­e, ne réservent pas. Donc on ne sait pas le nombre de passagers qu’on aura à transporte­r. Pour en revenir à la durée des escales, elle devrait être multipliée par deux, mais on n’en est pas là. Ça dépendra bien évidemment du nombre de personnes transporté­es. La vraie date qui va changer la donne pour nous, c’est l’ouverture des restaurant­s. Ce sera synonyme d’un vrai redémarrag­e du tourisme.

Y aura-t-il des clients à transporte­r cet été ?”

Comment envisagez-vous la saison estivale ?

C’est impossible qu’on réalise une saison comparable aux années précédente­s. On va faire une saison très dégradée. Il est déjà beaucoup trop tard. Toute la filière touristiqu­e corse est dans cet état d’esprit.

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