Musique : LEJ même Pas peur
Série : la frenchie Bureau des légendes
Nous sommes le 30 mars 1981, à Washington. Il n’est pas encore 14 h 30 et John Hinckley est posté devant l’entrée de l’hôtel Hilton. À l’intérieur, Ronald Reagan vient de prononcer un discours devant des représentants du secteur du bâtiment, membres de l’AFL-CIO, le syndicat le plus important du pays. La Lincoln Continental noire blindée attend sagement le retour du président des États-Unis. Celuici sort, adresse un salut à la foule. John Hinckley dégaine alors un pistolet, un Röhm RG-14 de calibre 22 Long Rifle, et tire à six reprises en sa direction. Comme plusieurs membres de son escorte, l’ancien acteur de séries B, arrivé à la Maison-Blanche soixanteneuf jours plus tôt, est touché. Malgré une perforation du poumon et des hémorragies internes, il se remettra vite d’aplomb. John Hinckley, lui, sera cloîtré dans un hôpital psychiatrique, jusqu’en 2016.
Happé par Taxi Driver
Reste une question : quelles étaient ses motivations ? Réponse : l’amour, jusqu’à la déraison, pour Jodie Foster. Il est resté scotché devant sa performance dans Taxi Driver, sorti en 1976. Il est allé voir le film quinze fois. Elle avait douze ans. Et dans le rôle d’une prostituée nommée Iris, elle avait imprimé sa rétine pour toujours. En tentant d’assassiner Reagan, il pensait pouvoir se faire remarquer par la star. À partir de ces faits réels, Clovis Goux (photo ci-contre) réussit un joli tour de force, parvenant à transformer en littérature ce qui n’aurait pu être qu’un long rapport de police ou un essai sociologique. L’auteur, journaliste indépendant branché musique, nous promène dans le cerveau torturé d’un jeune homme issu d’une famille riche, rondouillard et flemmard, un paumé incapable de trouver sa place dans le jeu social. Au fil des pages, on sent la tension monter, son obsession grandir. Il rôde autour de la maison de Jodie Foster, autour du lycée français de Jodie Foster, il scrute dans le moindre détail les photos de Jodie Foster, et son rejet des autres s’amplifie. Il porte en permanence une veste militaire cradingue, comme celle arborée par Robert De Niro dans son long-métrage fétiche. Plein de souffrance et de contradictions, John Hinckley est capable d’admirer à la fois John Lennon et Adolf Hitler. Hors-jeu jusqu’au bout, il ne parviendra même pas à se faire adopter par les néo-nazis de sa fac.
Hinckley rôde autour de chez elle, de son lycée...
Le revers de la médaille
Au-delà de la funeste dérive de ce personnage, Clovis Goux braque les projecteurs sur une époque marquée par la violence, l’érotisation à outrance de jeunes actrices et les dérives du star-system. Entre les chapitres, on trouve des comptes rendus bruts de faits divers. Souvent des hommes et des femmes jusqu’ici rangés parmi les losers, qui, un jour, se sont mis en tête de prendre une arme et de mitrailler à vue, histoire d’évacuer leurs frustrations et de s’offrir un quart d’heure de célébrité. « Voire (leur) part d’immortalité, si Hollywood s’emparait un jour de (leur) destin », écrit Goux avec ironie.