À Mouans-Sartoux, on cultive sens et essences
En lien avec le Musée international de la parfumerie de Grasse, ce conservatoire végétal met en valeur les espèces utilisées par les « nez » dans la composition des fragrances. Une oasis de beauté.
Arrachez une feuille et pliez-la, torturez-la un peu... Et puis sentez. » Hésitation. On lève les yeux vers Francesca Gheri, régisseuse des jardins et Christophe Mège, chef jardinier. On peut réellement faire ça ? Les deux gardiens du temple végétal acquiescent. Raisonnablement, c’est permis. Et c’est d’ailleurs ainsi que les jardins du Musée international de la parfumerie ont été imaginés. Comme un espace à humer. L’odeur vivifiante, citronnée et fraîche de la verveine se déploie sous nos doigts, chatouillant les narines. Cette évocation d’une eau masculine de Givenchy rappelle surtout que les parfums naissent d’abord dans les plantes, dans la nature. Les étapes d’après – la distillation, les alambics cuivrés, les assemblages de notes – on connaît. Grasse les expose en son musée, les parfumeurs privés mettent également en scène ces processus de fabrication des essences. Il manquait les fleurs fraîches, les « plantes à parfum », odorantes et aromatiques. La terre, les arbres. Les champs ponctués de couleurs. L’image d’Épinal que les touristes recherchaient en vain.
Alors, en 2007, ce jardin merveilleux a été créé, à Mouans-Sartoux. Sur un terrain qui n’était plus cultivé depuis une quinzaine d’années, autour d’un vieux canal retapé avec des pierres anciennes. Un joli lopin de près de trois hectares enchâssé entre un supermarché et de grandes enseignes commerciales dont la présence semble s’évanouir instantanément, une fois passée la serre d’accueil. En toile de fond, les roses pigmentent déjà le magnifique paysage. Partout, ce pointillisme ourlé de fuchsia, rouge passion, corail ou champagne. Sourires complices entre nos guides. « Parfois, on se dit qu’on travaille toute l’année seulement pour le mois de mai, la période où les fleurs sont les plus belles. Le moment où la rose centifolia (celle de Grasse, ndlr) fleurit. Alors, si on n’avait pas pu montrer tout ça au public...».
Ils sont soulagés. Le site accueille à nouveau depuis quelques jours les amoureux de nature. Sans les visites guidées. Mais on suit aisément le parcours sensoriel. Classée par notes olfactives, chaque famille d’odeurs a son carré. Un voyage au milieu des senteurs qui commence par les menthes. Poivrées, vertes, des cerfs. Suivent les gammes boisées et épicées. « La note fruitée s’exprime avec les vignes, le cassis et le cerisier », pointe Christophe aux mains vertes qui pratique ici la biodynamie et invite les insectes auxiliaires à peupler les « hôtels » du parcours. La note florale se déroule dans un grand vent de roses. Boutons d’ici (utilisés notamment dans la composition de l’extrait de Chanel n°5), ou d’ailleurs, de Damas, de Bulgarie... Les fleurs blanches – tubéreuse, jasmin, chèvrefeuille – saturent l’air avec leur sillage persistant. Les aromatiques défilent. Puis les lavandes dont le bleu titille les pointes, et qui « faisaient jusqu’ici le bonheur des Chinois qui venaient s’y photographier », glisse Francesca. Les vétivers parachèvent le parcours ponctué de passages secrets, de bassins aux grenouilles, lotus et nénuphars. Belle déambulation fleurie à l’année. Car le ravissement doit être présent en toutes saisons. Même quand les roses reines n’ont plus de pétales. Mise en scène travaillée des matières premières précieuses des parfumeurs. Ils s’y baladent d’ailleurs, comme les thésards en chimie option parfumerie. Tous découvrent des plantes, tentent des extractions. Ou, inversement, apportent à l’équipe de jardiniers des boutures. Échanges de bons plants. Une planche plus haut, les agrumes annoncent le jardin d’inspiration agricole. Partie plus « nature peinture ». Les fourmis qui piquent nos chevilles le rappellent. On est à la campagne. Celle d’antan. Réminiscence vaporeuse d’une grandmère qui cueillait la rose avant de l’amener à l’usine dans un panier en osier tressé par le grand-père. Pas Épinal... Juste le pays grassois, version sépia.
Les jardins du MIP, situés au 979 chemin des gourettes, à Mouans-Sartoux sont ouverts tous les jours de 10 h à 12 h 30 et de 13 h 30 à 18h30.4 € l’entrée, gratuit pour moins de 18 ans. Pass annuel : 12€ pour deux adultes, 10€ en individuel. Rens. 04.92.98.92.69.