Violences au large de St-Raphaël : le skipper attaque ses passagers
Le tribunal de Draguignan a condamné Eric Sommer à trois ans de prison, dont deux avec sursis probatoire, en retenant l’altération du discernement du navigateur cagnois
Physiquement, Eric Sommer, 56 ans, s’est présenté comme une sorte de rasta blanc ou de naufragé volontaire, à son entrée dans le box du tribunal correctionnel de Draguignan. Longue coiffure emmêlée à la manière des dreadlocks, barbe de sapeur, petit mais costaud, c’était aussi le portrait craché du loup de mer. Celui d’un capitaine, rompu à la navigation solitaire au long cours, seul maître à bord après Dieu, selon l’expression consacrée.
Navigation nocturne
C’est un peu son caractère qui l’a conduit toute cette dernière année en prison, le temps d’une information judiciaire ouverte pour ce qui apparaissait comme des tentatives de meurtres. Les faits s’étaient produits en mer, dans la nuit du 24 au 25 juin 2019, à quelques milles dans le sud de SaintRaphaël. Parti d’Antibes à la barre du « Protinus » son bateau de 36 mètres, Eric Sommer faisait route vers un chantier naval de La Seynesur-Mer, où son trawler devait être mis en carénage pour des réparations. Cinq équipiers se trouvaient exceptionnellement à son bord. Tous des amis, qui avaient accepté de l’escorter pour cette navigation côtière, mettant leur propre bateau en remorque derrière le « Protinus ».
À coups de hache et de machette
Le drame s’est joué vers minuit dans le carré, alors qu’on préparait un barbecue, après avoir sorti quelques bouteilles de vin et de rhum. Selon les deux victimes, Eric Sommer, qui avait pas mal bu, s’est énervé parce qu’il n’appréciait pas que d’autres que lui prennent la barre. Leurs tentatives pour le calmer ont été vaines, et au comble de la fureur, il avait sorti une hache, une machette et un grand couteau dentelé, menaçant de tuer tout le monde. «Jene me souviens de rien » ,adit Eric Sommer, d’un air désolé dans le box. L’un de ses équipiers a senti le souffle de la hache passer à quelques centimètres de sa figure. Un autre a paré du bras un coup de machette en direction de sa tête. La blessure sérieuse qu’il a reçue à la main lui a occasionné trente jours d’incapacité. Devant cette fureur agressive, trois des équipiers ont regagné leur bateau en remorque, deux autres se jetant à la mer, pour être récupérés ensuite par leurs amis. À 3 heures du matin ils ont alerté la gendarmerie maritime. Eric Sommer s’est quant à lui réveillé au matin, quand les gardes-côtes sont montés à son bord. Si cette affaire a démarré sur le mode criminel, c’est en partie à cause du passé pénal d’Eric Sommer. Un passif auquel Me Ludovic Loyer (barreau de Grasse) a su redonner ses véritables proportions.
Incarcéré aux Caraïbes
Le navigateur a été fortement marqué par son séjour de quatre ans (de mai 2012 à mars 2016) dans les geôles de l’île de Sainte-Lucie. Un petit État membre du Commonwealth, au sud de la Martinique. Il y avait été placé à la suite de la mort d’un homme, qui avait tenté de monter à bord du « Protinus », alors au mouillage à 100 m de la plage. Il avait chassé l’intrus qui était reparti d’où il était venu à la nage. Mais celui-ci avait été pris d’un malaise et les massages cardiaques, que lui avaient prodigué ceux qui l’avaient secouru, lui avaient brisé neuf côtes. Il était mort deux heures après. Eric Sommer avait alors été placé en détention, le temps d’instruire son procès pour meurtre. Mais après 34 renvois d’audience, un changement de juge, l’intervention diplomatique du gouvernement français et surtout quatre ans d’emprisonnement dans des conditions violentes, il a finalement pu être jugé. Acceptant un plaider coupable pour homicide involontaire, la justice de Sainte-Lucie a considéré qu’il avait purgé sa peine.
Discernement altéré
Selon l’expert psychiatre, le stress post-traumatique, suite à ses conditions d’incarcération aux Caraïbes, avait entraîné une altération du discernement d’Eric Sommer. Voilà qui pouvait expliquer son absence de souvenirs de cette violente équipée en mer entre Antibes et La Seyne. « S’il est alcoolisé, il peut s’en prendre à ses amis et ne pas s’en souvenir ,arésumé le procureur. Ce n’est pas une excuse. Ça peut se reproduire. » Il a requis quatre ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis probatoire, et une obligation de soins psychiatriques. « C’est le défaut de soins d’Eric Sommer après son incarcération qui explique les faits, a objecté Me Loyer. Le psychiatre a parlé d’un vécu de persécution et d’idéations paranoïaques. » Le tribunal l’a suivi dans sa demande de prendre en compte l’altération du discernement d’Eric Sommer, et l’a condamné à trois ans de prison, dont deux ans avec sursis probatoire, ce qui couvre l’année de détention provisoire déjà subie. Eric Sommer a également l’obligation de se soigner et d’indemniser ses victimes.