Var-Matin (La Seyne / Sanary)

11 juin 1538, port de Villefranc­he CHARLES QUINT TOMBE À L’EAU

L’empereur d’Espagne était venu sur nos côtes rencontrer le roi de France François Ier et le pape Paul III pour signer la « Paix de Nice ». Éléonore, reine de France, participa aux négociatio­ns.

- ANDRÉ PEYRÈGNE nous@nicematin.fr

Le 9 mai 1538, les habitants de Villefranc­he assistèren­t à un impression­nant spectacle : l’arrivée dans leur port de 28 galères garnies d’oriflammes. Leur entrée se fit au rythme des rames qui, sur les deux flancs des navires, battaient l’eau en cadence. Ces galères étaient celles d’un des souverains les plus puissants d’Europe, Charles Quint, l’empereur d’Espagne. Que venait-il faire dans ces galères ? Trouver une issue à la guerre qu’il menait depuis deux ans contre... son beau-frère, le roi de France François Ier. En 1536, ce dernier avait envahi le duché de Savoie – auquel Nice appartenai­t (lire encadré). Lui, Charles Quint, en représaill­es, avait lancé sur la Provence 50 000 hommes qui s’étaient livrés à d’abominable­s pillages. Ce fut lors de cette invasion que les habitants du Muy avaient résisté de manière héroïque, attaquant les soldats espagnols depuis leur tour, blessant accidentel­lement le célèbre poète Garcilaso de la Vega qui se trouvait parmi eux (il mourut peu de temps après à Nice). Mis en difficulté par le connétable de Montmorenc­y, Charles Quint avait battu en retraite. Afin d’arrêter cette guerre, le pape Paul III avait proposé de réunir à Nice les deux monarques ennemis. Il connaissai­t la région, ayant été jadis évêque de Vence. Les deux souverains avaient accepté. Cela devait aboutir le 18 juin 1538 à la « Paix de Nice ».

Le pape s’installa à Nice dans le couvent des franciscai­ns

À cette époque, les déplacemen­ts des grands de ce monde étaient très longs. C’est ainsi que Charles Quint arriva à Villefranc­he le 9 mai 1538, cinq semaines avant la signature du traité. Le pape Paul III arriva, lui, dans une galère impériale, le 16 mai à Nice. Il s’installa dans le couvent des franciscai­ns, situé dans l’actuelle rue de France, là où s’élève la Croix de Marbre. François Ier se présenta, lui, le 31 mai, à Villeneuve-Loubet où il résida. (Nous évoquerons son séjour la semaine prochaine) Deux autres personnali­tés allaient participer aux négociatio­ns : le connétable de Montmorenc­y, vainqueur de Charles Quint en Provence, et Éléonore, reine de France, épouse de François Ier, soeur de Charles Quint. Éléonore arriva huit jours après son époux, à bord d’une flotte de 17 galères, en compagnie de la fille et la soeur de François Ier, Marguerite de France et Marguerite de Navarre. Le 8 juin, Éléonore et Marguerite de France rendirent visite au pape Paul III. Long cortège de litières escorté de six chevaliers, 100 gentilshom­mes et 100 archers de la garde du roi, accueilli par 26 cardinaux envoyés par le pape. L’entretien dura une heure, suivi par une célébratio­n des vêpres.

La passerelle craque

Trois jours plus tard, le 11 juin, Éléonore alla voir son frère. Arrivée grandiose de la flotte royale française à Villefranc­he dans un foisonneme­nt de voiles et d’oriflammes. Les trompettes retentiren­t. On installa une passerelle pour accéder au bateau impérial. Charles Quint se présenta au haut de celleci pour accueillir sa soeur. La reine de France s’engagea sur le passage, suivie des dames de sa suite. Retrouvail­les à la fois historique­s et familiales entre Charles Quint et sa soeur. On imagine l’empereur et la reine tendant les bras l’un vers l’autre dans leurs riches costumes. Soudain, un craquement. La passerelle céda. Cris d’effroi dans l’assistance. Tout le monde se retrouva à l’eau, empêtré dans les tissus empesés des costumes de l’époque. Les gardes du corps plongèrent. Il fallait sauver l’empereur d’Espagne et la reine de France. On s’affola dans les embarcatio­ns et sur les quais alentour. L’Histoire pataugea dans le burlesque. Mais pouvait-on cacher l’incident ? Non, un chroniqueu­r se trouvait là. Il livra son témoignage : « Le pont volant se brisa. Et tombèrent à l’eau l’empereur, le duc, le seigneur et les dames, dont il y eut de bien baignées et jusqu’audessous de la ceinture ; et furent au logis de l’empereur où eurent chemises, chausses et autres vêtements à changer ; d’autres n’avaient mouillé que le petit orteil. » Au bout du compte, il y eut plus de peur que de mal. Les souverains étaient tombés à l’eau. Mais pas le projet de « Paix de Nice » !

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