De Gaulle, gentil fantôme
Le président de la République a bien tenté, dimanche soir, un appel du pied. Franc et direct. Une demi-douzaine de références à l’indépendance de la France. Un concept cher au Général. Mais ce fut un flop. Personne n’a saisi l’allusion. C’est ainsi. En ce e anniversaire de sa naissance, force est de constater que de Gaulle s’efface peu à peu de la mémoire collective. Son spectre rôde encore dans les institutions, hante les discours, mais c’est un fantôme qui rapetisse. Un gentil fantôme qui n’a plus que des amis : à gauche, ses adversaires d’hier ne craignent plus de le prendre comme modèle. À l’extrême-droite, le RN, longtemps son ennemi juré, l’a complètement réhabilité, au point que Marine Le Pen a rendu hommage, hier sur l’île de Sein, à celui « qui exhorta le peuple abattu au sursaut ». Au fur et à mesure que disparaissent ceux qui ont combattu avec lui, que vieillissent ceux qui ont voté pour lui… ou contre lui, se forge dans notre imaginaire un de Gaulle débarrassé de toute aspérité, tellement lisse sans ses colères, ses divorces et ses retrouvailles avec les Français. Reste une statue du commandeur, la dernière que l’on déboulonnera, un symbole de l’unité perdue, de l’impossible consensus derrière lequel chacun de ses successeurs a couru. En vain. Que dire aux plus jeunes, tiens aux candidats au bac qui auraient dû passer aujourd’hui l’épreuve d’histoire si elle n’avait pas été annulée pour cause de coronarivus ? Que de Gaulle vaut bien un Che. Que l’amour de la France poussa ce militaire si raide à un incroyable geste de rébellion. Que le discours froissé dans la poche de son vieil uniforme, celui qu’il prononça le juin , est une ode à la vie et à la liberté. Plutôt cool, non ? Un texte court, prophétique, sur l’espérance, sur le destin du monde, sur la flamme de la résistance. Son pays est compté sur le ring de l’Histoire ? Personne pour le soutenir ? Pas grave. Il y croit. C’est tout ? À ce moment de l’Histoire, oui c’est tout. Il est possible que ce passage sur les ondes de la BBC n’ait pas changé la face de la guerre, que sans lui, de Gaulle aurait tout de même convaincu les Britanniques de le suivre, « les officiers et les soldats français, les spécialistes des industries d’armement en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver », de le rallier, les mouvements de résistance de se fédérer derrière lui. Même sans cet appel, le pays aurait sans doute été libéré, la France se serait assise à la table des vainqueurs. Bref, même sans cet appel, de Gaulle aurait été de Gaulle. Mais quand l’époque se trouble, et elle se trouble souvent, ce sont bien ces quelques mots, ressassés chaque juin, qui peuvent toujours nous servir de balise, sans crainte de s’égarer. Espérer. Faire bloc. Croire au destin. Résister.
Un texte court, prophétique, sur l’espérance, sur le destin du monde, sur la flamme de la résistance