« Le communautarisme, c’est la guerre »
Boucle sa « Contre-histoire de la philosophie » et lance une revue de réflexion sur le monde d’après la crise, articulée autour du souverainisme et de la primauté du peuple
Auteur prolifique – il compte déjà plus d’une centaine d’ouvrages à son actif, et des pavés le plus souvent –, Michel Onfray a publié cette semaine La Résistance au nihilisme (1), douzième et dernier opus de sa Contre-histoire de la philosophie, entamée en 2006 par Les Sagesses antiques. Le philosophe lance par ailleurs ce mardi une revue trimestrielle, titrée Front populaire. Elle a vocation à penser l’après-crise, en offrant un éventail de points de vue autour du souverainisme, de gauche comme de droite. Y signeront notamment Jean-Pierre Chevènement et Philippe de Villiers, mais aussi des scientifiques, des agriculteurs, des médecins, des enseignants ou encore des « gilets jaunes »… Avant sa sortie en kiosques, la revue compte déjà plus de 26 000 abonnés, soit un matelas de départ d’un million d’euros. Philosophe tout à la fois libertaire, hédoniste, cynique, athée, la sagesse immanente romaine érigée en vertu cardinale, Michel Onfray agace ceux qui lui reprochent un sérieux coup de barre à droite, souverainiste donc. Il échappe surtout au catalogage. Le « Monsieur Poujade de la philosophie », selon la formule d’un de ses contempteurs, a répondu à nos questions.
Que vous a appris le confinement sur un plan purement philosophique ?
Rien que je ne sache vraiment déjà… Le travail d’écriture est un travail éminemment solitaire. J’ai publié plus de cent livres, ce qui suppose des heures et des heures de solitude et de silence. J’aime la solitude et le silence. J’ai en revanche vu que nombre de personnes étaient incapables de cette solitude, tant elles sont incapables d’autonomie ou de souveraineté sur elles-mêmes.
L’objectif de la revue que vous lancez, c’est de revigorer le débat d’idées ?
Tout à fait. Les plateaux d’Apostrophes ont permis ce qui est devenu totalement impossible aujourd’hui : souvenez-vous que Maurice Bardèche, collaborationniste notoire, partageait le plateau de Bernard Pivot avec BHL [Bernard-Henri Lévy, ndlr]. À l’époque, il ne serait venu à personne l’idée de dire que BHL tombait dans le clan des collaborationnistes !
On a pourtant l’impression que la France ne fait que ça, débattre à longueur de journée. Le café du commerce permanent et les chaînes tout-info ont-ils eu la peau des intellectuels ?
Débattre tout le temps, c’est ne jamais débattre. Aujourd’hui, il n’y a plus que des juxtapositions successives de monologues, ce qui n’est pas échanger. On n’écoute plus, on insulte ; on ne répond pas à une objection, on poursuit son monologue ; on ne cherche pas à exposer des idées mais à faire des bons mots qui feront ensuite le buzz et assureront l’écho sur les réseaux sociaux.
Front populaire, c’est un titre connoté. Le peuple reste pour vous la référence suprême ?
Le Front populaire, c’est un moment dans l’histoire sociale où des acquis pour les plus pauvres, comme les congés payés ou la réduction du temps de travail, ont été obtenus sans que le sang soit versé. C’est le temps de l’éducation populaire et des vacances sur la plage pour le peuple. C’est ce que je retiens de cette séquence de l’Histoire de France. Par ailleurs, oui, je persiste à croire que la démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple. C’est inscrit dans la Constitution…
Vous publiez par ailleurs le douzième opus de votre Contre-histoire de la philosophie, La Résistance au nihilisme. Comment ce nihilisme se traduit-il aujourd’hui et comment y résister ?
Le nihilisme, c’est l’inversion des valeurs : le délinquant est une victime et le policier qui l’appréhende un coupable ; l’antiracisme est un racialisme qui reformule un néo-racisme ; le féminisme décolonial est une soumission à l’ordre patriarcal et au machisme des hommes, pourvu qu’ils ne soient pas blancs ; l’antisionisme, comme l’antiracisme, permet de reformuler un nouvel antisémitisme ; la destruction de l’Histoire passe par la nouvelle Histoire, etc. Résister à cette folie, c’est la dire, la nommer, la dénoncer partout où faire se peut.
Certains vous ont reproché d’avoir au fil des années dérivé de la gauche libertaire vers la droite zemmourienne. Avez-vous changé votre grille de lecture du monde ?
C’est la gauche qui a cessé d’être de gauche depuis son virage libéral en et le Traité de Maastricht en . J’ai voté Mitterrand en pour des idées qui sont restées les miennes, alors que François Mitterrand les a jetées par dessus bord après vingt-deux mois de gouvernement… Les « certains » dont vous me parlez sont aujourd’hui du côté de l’homophobie, de l’antisémitisme, de la misogynie, de la phallocratie, de la violence, pourvu que ces vices soient portés par l’islamo-gauchisme. Cette fausse gauche, qui prépare un vrai fascisme et une vraie guerre civile, n’est en effet pas la mienne : je m’honore des insultes de ces gens-là.
Que vous inspire le débat fourre-tout actuel sur la police, le racisme, la repentance ?
Il est le signe même du nihilisme où la haine, le ressentiment, la jalousie, la mauvaise foi, l’inculture, l’égotisme mènent le bal : c’est le résultat de la politique maastrichienne qui a détruit les États-nations et conduit au triomphe du communautarisme Or, le communautarisme, c’est la guerre.
Les nouvelles orientations ébauchées dimanche dernier par Emmanuel Macron vous ont-elles rassuré ? Peut-il y avoir un souverainisme européen qui surplombe les peuples ? Vouloir le souverainisme de la France et de l’Europe, c’est vouloir que la porte soit ouverte et fermée en même temps : c’est tout Macron ça. C’est une pathologie. Quand ça devient une politique, c’est la fin de toute politique et l’avènement du désordre généralisé. Nous y sommes… 1. Grasset, 520 pages, 29 euros.
Il n’y a plus que des juxtapositions de monologues ”
Maastricht a détruit les États-nations ”