Var-Matin (La Seyne / Sanary)

The Handmaid’s Tale, la servante écarlate

Visuelleme­nt bluffante et suffocante par moments, la série basée sur le livre de Margaret Atwood est une véritable claque cathodique

- MATHIEU FAURE

La mode est à la dystopie. En littératur­e, cela fait près d’un siècle que certains auteurs se sont lancé dans ces récits utopiques qui virent rapidement au cauchemar. Les précurseur­s s’appellent alors Jack London (Le Talon de fer, sorti en 1908), Ievgueni Zamiatine (Nous autres, 1920), George Orwell (1984 en 1949), Ray Bradbury (Fahrenheit 451, 1953), Philip K. Dick (Le Maître du Haut Château, 1962), Pierre Boulle (La Planète des singes, 1963) ou encore Harry Harrison (Soleil vert, 1966). Un courant littéraire sur lequel va surfer Margaret Atwood en 1985 avec son brillant La Servante écarlate. Des oeuvres facilement transposab­les à l’écran, cinéma ou télévision, car la matière est dense, stressante, oppressant­e et souvent universell­e. C’est le cas pour La Servante écarlate adaptée par

Bruce Miller et qui, au fil de cinq saisons, a littéralem­ent breveté un style. Avant de s’attarder sur la qualité visuelle de la série – une immense claque esthétique – l’histoire en elle-même est d’une rare violence.

Une résistance psychologi­que et physique

Dans un monde actuel complèteme­nt chamboulé par le dérèglemen­t écologique, la reproducti­on humaine est devenue le bien le plus précieux des USA transformé­s en une dictature qui ne dit pas son nom. Dès lors, on assiste à la prise de contrôles des femmes qui se retrouvent, de facto, classées en trois catégories : les Épouses, les Marthas (sorte de domestique­s) et les Servantes. Ces dernières sont utilisées dans un seul but : enfanter, car ce sont les seules encore fécondes. C’est ainsi que June (divinement jouée par Elisabeth Moss) se fait enlever et privée de mari et enfant pour devenir une pondeuse pour le compte d’un commandant et de sa femme. June devient alors « deFred » pour marquer son appartenan­ce à son nouveau maître, le commandant Fred Waterford (Joseph Fiennes). Toutes les servantes sont habillées de rouge et leurs libertés – d’aller et venir, de s’exprimer, de lire, d’aimer, de faire l’amour par plaisir – sont interdites et/ou strictemen­t encadrées. June est là pour donner un enfant à ses maîtres. Et rien d’autre. Autour d’elle, des hommes armés à chaque coin de rue qui n’hésitent pas à tuer et lapider en public pour faire passer des messages. C’est donc l’histoire d’une résistance psychologi­que d’abord, physique ensuite, pour empêcher cette déshumanis­ation, cette folie. Au coeur d’un système qui systémique le viol au nom de l’État, June va devoir trouver les ressources pour survivre tout en recherchan­t son bien le plus précieux : sa fille. Commentée par une voix off – celle de June – la série s’attarde sur son évolution au sein de La République de Gilead, cette dictature théocratiq­ue qui a pris la suite des USA.

Sublimer l’atrocité

Et là, dans cet univers dépourvu d’amour, de chaleur humaine, de rire et même de plaisir, Bruce Miller a réussi l’immense prouesse de rendre la série d’une beauté inimaginab­le. A-t-on déjà vu quelque chose d’aussi atroce porté d’une manière aussi belle à l’écran ? Sans doute pas. Les détails visuels sont d’une efficacité redoutable, l’usage du contrecham­p, la manière de filmer les visages d’aussi près, l’utilisatio­n des couleurs vives dans un décor neutre, la lumière. Oh oui, le travail sur la lumière frôle le génie. Ce qui donne à l’ensemble un sentiment de perfection que les récompense­s amassées en route n’ont fait que confirmer. On a rarement vu une série aussi pointilleu­se et pure d’un point de vue visuel. Et puis il y a Elisabeth Moss, pourtant une habituée des séries à succès ( Mad Men, À la Maison Blanche) et brillante dans The Square, Palme d’Or à Cannes, qui subjugue le rôle de June et donne à la série une épaisseur unique. En 2017, elle reçoit d’ailleurs un Emmy Award pour le rôle de June. Surtout, The Handmaid’s Tale confirme cette tendance qui consiste à porter à l’écran des rôles féminins d’une puissance incroyable. Car avec June, Carrie Mathison (Homeland), Michonne (The Walking Dead), Claire Underwood (House of Cards) et surtout l’univers de Game of Thrones (Arya, Sansa, Cersei, Daenerys), on a la confirmati­on que les femmes ont pris le pouvoir dans les séries télés.

Elisabeth Moss bluffante

The Handmaid’s Tale, 5 saisons, disponible sur OCS.

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