IL EST TEMPS DE SE FAIRE LA MALLE

En nettoyant le grenier poussiéreux de la maison familiale dont je venais d’hériter, je n’imaginais pas tomber ainsi sur une machine à remonter le temps. Nous avions, ma femme et moi, décidé d’en réaménager les combles. Au milieu d’une forêt de toiles d’araignées, une vieille malle trônait. Comme un totem.

Le hasard ne semblait pas avoir sa part dans ce tableau. A croire qu’un jour lointain, quelqu’un, mon aïeul sans doute, avait comme on jette une bouteille à la mer organisé cette mis en scène. Etait-ce un trésor qu’il avait caché là, bien en vue dans ces combles ou nul risquait jamais de s’aventurer ? Ou un gag à retardement ? La légende de mon aïeul le décrivait comme un individu fantasque. Tout était possible. Allais-je en forçant la serrure toute percluse de rouille tomber nez-à-nez avec un diable mécanique bondissant ?

Pas forcément téméraire, je pris le risque.

Pas plus de diable que de pièces d’or qu’un quelconque oncle d’Amérique nous aurait laissé ! Juste une sorte de recueil de vieilles photos. Toutes bien rangées. Par ordre chronologique dont la toute première avait été datée :  juin . Image satellite du pôle nord, la photocopie jaunie par le temps, vieille de plus d’un siècle, aurait pu demeurer une énigme si d’une belle écriture ronde, toute en pleins et en déliés, mon aïeul n’y avait écrit un message : « Aujourd’hui, il fait  degrés au pôle nord ! ». Une autre copie d’écran, toujours datée de ce  juin , immortalisait elle l’emballage d’un glacier dans les Alpes italiennes : « Ce monde est fou : on en est à devoir tirer, comme un dérisoire linceul, des kilomètres de tissus sur ce glacier en phase terminale climatique... dans l’espoir d’en ralentir la lente mais inéluctable fonte ! »

Nous échangeâmes avec mon épouse un regard interloqué. Quelle mouche, au soir de sa vie, il y a plus d’un siècle, avait bien pu piquer mon aïeul pour qu’il nous lègue une telle revue de presse farcie de fake news ?

Au fil des pages, j’oscillais entre stupeur et rire en lisant les légendes dont le vieux avait agrémenté chacun des montages, photos ou captures d’écran de son étrange compilation.

« Suons ensemble : l’été, et oui il fait chaud ! ».

« La clim est une drogue dure : plus tu as froid, plus tu as chaud ».

Sous le hashtag #SueursFroides, il avait mis en page deux fausses pubs opposant un surfer jovial trimballant tel un sherpa himalayen des sacs débordant de déodorants dans le désert brûlant de l’Arctique face à la « cène » d’un repas de famille du  aout  où, emmitouflé dans des bonnets, anoraks et gants de ski, le cercle familial est réuni sous un monstrueux climatiseur.

Il restait encore des centaines de pages à tourner, mais les drôleries les plus courtes sont toujours les meilleures. Maman m’avait souvent raconté de drôle d’histoires à propos de son arrière grandpère. La légende familiale disait qu’il avait acquis cette maison loin de tout et qu’il y avait terminé sa vie en ermite dans un paradis artificiel permanent. A quoi bon perdre plus de temps à tenter d’élucider le pourquoi de ce testament de fake news. La malle refermée, nous décidâmes de la recycler. On fit tout de même une petite photo : clic clac. Elle alla nourrir mon album à souvenirs dans le smartphone ultra performant et reconfigurable dont j’avais hérité quinze ans plus tôt de mon père.

Nous avions perdu assez de temps comme ça. Les travaux d’aménagement des combles devaient débuter quelques jours plus tard. Il fallait que je m’y mette au plus vite : on devait nous livrer une nouvelle télévision grand écran. La nôtre nous avait claqué entre les doigts quelques jours plus tôt. Ca m’avait d’ailleurs mis en fureur. Quand papa nous l’avait donnée, elle était encore garantie vingt ans. Un scandale. Ils t’appâtent en te certifiant que leur produit a une durée de vie de quarante ans, et la eme année, pim, elle rend l’âme. Ils se foutent vraiment de de nous. Malgré ces délires, le vieux n’a pas totalement tort, ce monde est en train de devenir fou, non ?!