Aînés « sacrifiés », MARS
Dans les Ehpad, chronique d’une hécatombe annoncée Des séquelles parfois très lourdes
2mars: les chiffres officiels sont de 130 cas de Covid-19 en France. Ce même jour, des premières mesures de protection sont mises en place dans les Ehpad. Avec une moyenne d’âge de 85 ans et des comorbidités fréquentes, leurs résidents sont particulièrement vulnérables. L’enjeu est alors de bloquer le virus à l’entrée des établissements. Les visiteurs doivent se soumettre à une prise de température frontale. Le nettoyage des mains au gel hydroalcoolique est obligatoire, ainsi que le port du masque en cas de toux. Tout contact est proscrit, les horaires de visite restreints. Certains établissements choisissent, sans attendre, de se confiner. Comme Les Citronniers à RoquebruneCap-Martin dès le 4 mars ou la maison de retraite du Grand jardin au Lavandou le 10 mars. Le 12 mars, l’étau se resserre : le gouvernement décide de suspendre l’intégralité des visites de personnes extérieures dans les Ehpad. Une mesure « exceptionnelle », appelée à être levée « dès que la situation le permettra ». L’exceptionnel va durer et ne sera pas sans conséquences.
Masques et tests manquent
Le 24 mars, alors que la barre des 1 000 morts vient d’être franchie en France, des premiers cas suspects sont recensés au sein de l’Ehpad de l’hôpital Clemenceau à La Garde (Var). « Les deux principaux lieux de décès sont [désormais] l’hôpital et les Ehpad », annonce le directeur général de la Santé, le Pr Jérôme Salomon. L’hécatombe redoutée a commencé : les décès se comptent déjà par dizaines dans les Ehpad de France. Tandis que les familles, privées de visite, commencent à témoigner de leur grande détresse à voir leurs anciens mourir seuls, les soignants, « en situation de grande tension », réclament masques et tests, dont le manque sera plus tard identifié comme l’une des causes de la propagation du virus dans ces établissements. Dans un climat d’extrême tension, Emmanuel Macron annonce le 25 que le nombre de tests en France va être porté à 29 000 par jour – contre 5 000 à cette période-là –, « surtout pour les soignants et les Ehpad ». Le 27, le conseil départemental des Alpes-Maritimes désigne ces établissements parmi les destinataires prioritaires pour la distribution d’un million de masques. Pendant ce temps, un médecin urgentiste toulonnais, Vincent Carret, se désole : «Aujourd’hui, on arrive à peine à accueillir les cas graves. [C’est] un drame pour l’ensemble des soignants de voir des personnes mourir à la maison, ou en Ehpad. » Le pire est pourtant à venir, tout le monde en a conscience : «Onne vit plus que pour les protéger », témoigne Zaï, cuisinière à l’Institut Claude-Pompidou à Nice le 1er avril. « Les Ehpad [sont] en alerte maximale » quand, le 29 mars, le ministre de la Santé demande « d’aller vers un isolement individuel » et de « tester en priorité le personnel » de ces établissements. En France, le nombre de victimes à l’hôpital croît à une vitesse vertigineuse, et celles des Ehpad ne sont pas encore comptabilisées quand, dans notre région, la situation bascule : « 12 morts à la maison de retraite » La Riviera de Mougins, à la « une » le 31 mars. Et le bilan ne fera que s’alourdir : 34 morts le 9 avril. En colère, des familles portent plainte.
avril : morts dans les Ehpad
« Chaque jour, 50 000 masques sont désormais destinés aux Ehpad », tente de rassurer Olivier Véran le 2 avril, tandis que sont publiés les premiers
CORONAVIRUS
CORONAVIRUS chiffres officiels, « très partiels », de la mortalité dans ces établissements : « Au moins 884 morts ». Un chiffre revu à la hausse trois jours plus tard : « 2 028 décès en Ehpad » selon le Pr Salomon. Le député LR Éric Ciotti dénonce « l’abandon des aînés ». Dans son billet du 5 avril, Michèle Cotta écrit : « Le Covid19 révèle des inégalités. [...] Ce sont les plus de soixante ans qui sont le plus souvent atteints, le plus gravement, puisque c’est dans cette classe d’âge que les décès sont les plus nombreux. » Face à ce constat, le ministre de la Santé, Olivier Véran, annonce que seront désormais testés « tous les résidents et tous les personnels à compter de l’apparition du premier cas confirmé [...] au sein de l’établissement ». Mais l’hécatombe se poursuit : à Châteauneuf-deGrasse, à l’Ehpad Cantazur à Nice, aux Charmettes à Six-Fours, où la moitié des résidents sont testés positifs. Le 15 avril, les députés LR azuréens Michèle Tabarot et Bernard Brochand demandent « un dépistage systématique des personnels et des résidents des Ehpad ». Au lendemain de l’annonce du déconfinement, prévu le 11 mai, une autre polémique enfle : « Qui sont les personnes fragiles appelées à rester chez elle après le déconfinement ? » On s’inquiète : « Le coronavirus est dangereux, mais la solitude et l’isolement aussi… » Les professionnels alertent : « Si l’on attend trop, on aura des syndromes de glissement. » Les familles commencent à réclamer : « Quand pourrais-je rendre visite à ma mère dans son Ehpad ? »
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Le 19 avril, le gouvernement décide « la mise en place [...] d’un droit de visite dans les Ehpad ». Avec le déconfinement, vient l’heure du bilan d’une gestion jugée « calamiteuse » par le député Éric Ciotti, rapporteur de la commission d’enquête sur « l’impact, la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de coronavirus ». Même condamnation de la part du Varois Jean-Pierre Tarditti dont le papa a rendu son dernier souffle seul, confiné dans sa chambre de l’Ehpad Le Rosaire à Sanary. L’ancien maçon de 94 ans a échappé au coronavirus, mais n’a pas supporté l’isolement. Début juin enfin, sous la pression des familles, les conditions des « visites [sont enfin] assouplies en Ehpad : on brise enfin la glace ! » Les chiffres mis à jour fin juin y portent à 10 457 le nombre des décès, et à 37 901 le nombre des cas confirmés de Covid-19. Pierre-Chevalier à Hyères, « [nos patients] souffrent pour la plupart d’une perte d’autonomie physique et d’une dénutrition consécutive à une longue hospitalisation, explique le 18 avril le Dr Murièle Dutasta, chef du service Covid. Un tiers d’entre eux est passé par la “réa”, pour des séjours beaucoup plus longs que la moyenne habituelle. Cela engendre une importante perte de masse musculaire, avec des difficultés pour reprendre la marche, notamment. Et puis l’agueusie [...] entraîne souvent une perte de poids. L’objectif est de leur permettre de retrouver l’autonomie qu’ils avaient avant. » Un mois plus tard, le 17 mai, les infectiologues du CHU de Nice font revenir des patients ayant souffert de pneumonie pour une évaluation globale des séquelles, majoritairement respiratoires. Si l’équipe hospitalière se réjouit de l’absence de séquelles physiques chez la plupart des malades graves du Covid, elle dépeint une tout autre situation concernant les séquelles psychiques, « très fortes ». Les malades du Covid ne sont pas les seuls à garder des séquelles après cette crise sanitaire. Elle a été éprouvante, psychologiquement, pour tout le monde. À Nice, le centre hospitalier Sainte-Marie a ainsi ouvert une consultation dédiée aux conséquences du Covid (Nice-Matin du 20 juin). Et il ne faut pas oublier tous les patients souffrant d’une pathologie autre que le Covid-19, dont la prise en charge a été reportée, interrompue ou compliquée par le confinement ou par la peur de se rendre chez son médecinouàl’hôpital. Trèsvite,des médecins se sont interrogés sur les pertes de chance ou les séquelles dont vont pâtir tous ces gens. Un phénomène qui fait craindre, encore aujourd’hui, une autre crise sanitaire. 1. Absence du sens du goût. 2. Perte d’odorat.