Var-Matin (La Seyne / Sanary)

LA QUEUE COUPÉE DU DIABLE

Pourquoi le blason de ce village représente-t-il un lézard à queue coupée ? Est-ce parce qu'en provençal coa raza se traduit par « queue rasée » ? Pas si simple.

- NELLY NUSSBAUM nous@nicematin.fr

Il est effectivem­ent étonnant que le blason de Coaraze, village perché à 667 mètres d'altitude sur un piton qui domine la vallée du Paillon, à 30 km au nord de Nice, soit un lézard à la queue défaillant­e. En fait, il s'agirait d'une étymologie populaire basée sur un jeu de mots attaché au château médiéval baptisé Castellum Caude Rase dont on trouve trace dans un document de 1108. Mais, comme aucun fait historique n’a jamais permis de justifier ce patronyme, dès le Moyen Âge, les Coaraziens y attachèren­t une légende, ou plutôt deux légendes (lire encadré) qui perdurent encore aujourd’hui. À vous de choisir celle qui vous plaît le plus !

Tel est pris qui croyait prendre

Il était une fois, à Coaraze, un curé qui était aussi zélé que rigoriste ! Son sens de la rigueur le poussait même à interrompr­e le baiser des mariés quand il pensait qu’ils outrepassa­ient les critères de décence qu’il avait fixés. Mais les villageois, beaucoup moins rigides que leur curé, étaient exaspérés par ses sermons dominicaux. Un jour, ils décidèrent d'y mettre fin. Et, pour lui donner une leçon, ils firent appel à Chiapatout­e, un expert de la chasse aux oiseaux qu’il attrapait avec de la glu. Avec l'accord de ses compatriot­es, Chiapatout­e alla enduire le siège du curé avec lou visc – de la colle. Quelle rigolade quand, le dimanche suivant, le curé ne put se décoller de sa chaise sans être obligé d’y abandonner sa chasuble ! Mais, il en est un qui a aussi beaucoup ri à cette plaisanter­ie, le Malin. Avec ses gros yeux rouges et sa grande queue, il s’est cru en pays conquis et a commencé à prendre ses aises. Mais, c'était mal connaître les villageois. Le Malin se mit alors à fréquenter auberges et tavernes. Mais personne ne voulait trinquer avec lui ni lui offrir à boire. Aussi, pour étancher sa soif, il ne lui restait plus que la fontaine sur la placette du village. C'est alors que Chiapatout­e enduisit la margelle de la fontaine de lou visc. Quand, le gosier asséché par les tartines de pissalat – peis salat, sauce niçoise à base de poisson salé –, qu'on lui avait généreusem­ent offertes, Satan voulut se désaltérer, il se précipita à la fontaine. Il y resta donc collé et les villageois en profitèren­t pour le capturer, le ficeler et le jeter dans une charrette.

Un élément reconnaiss­able gravé dans le métal

Les uns tirant, les autres poussant, on finit par atteindre le plus haut point du piton. Là, on le déchargea et le poussa d'un coup de pied dans le bas du vallon. Parvenu dans sa chute à se libérer de ses liens, le Malin resta néanmoins collé par sa queue gluante à une souche d'olivier. Dans un ultime effort, il ne dut son salut qu’en se coupant luimême son appendice qui resta là à se tortiller comme un ver de terre. Sans demander son reste, le Diable regagna son domaine au fin fond de la vallée des Merveilles et on ne le revit jamais au village. C’est ainsi que les villageois ont récupéré le petit bout de sa queue comme souvenir et qu'ils se sont empressés de le fondre dans le métal de leur blason. Même si au fil du temps, le blason coarazien a changé de forme et de couleur, le lézard à queue coupé a traversé les siècles avec la définition héraldique : D’or au lézard montant d'azur à la queue rompue en pointe.

« Un village où les habitants ont capturé le Malin. »

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France