Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« La France est handicapée à cause de son pessimisme »

L’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine estime que la crise sanitaire est un révélateur de la dureté des relations internatio­nales. Et affirme que l’Europe ne sera jamais une fédération

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Vous évoquez une impréparat­ion générale à l’épidémie. Pourquoi les Occidentau­x n’ont pas entendu, ou voulu entendre, les alertes ? J’ai écrit cet essai car je pense

() qu’il ne faut surtout pas se lancer dans des règlements de compte et des controvers­es, mais tirer des leçons utiles, car il est bien possible que cela recommence. L’impréparat­ion a été générale, et ce n’est pas seulement celle des gouvernant­s. Les mises en garde lancées par des rapports de la CIA et les Livres blancs [qui fixent la stratégie de défense et de sécurité nationale, Ndlr] français de  et , puis celui des Allemands en  remettaien­t tant en cause le fonctionne­ment de la mondialisa­tion et la vie des gens eux-mêmes, avec notamment , milliard de touristes par an et des déplacemen­ts permanents, que ces mises en garde étaient juste inaudibles.

Vous parlez d’une « fête » impossible à arrêter. La mondialisa­tion est une machine infernale ?

Ce n’est pas une machine infernale car pour les trois quarts de l’humanité, la mondialisa­tion est merveilleu­se. Elle a permis de sortir des centaines de millions de gens de la pauvreté la plus totale. Les gens sont énormément attachés au tourisme de masse. Dès qu’un pays émergent se développe, apparaît une classe moyenne qui veut voyager. On va être obligé de mieux encadrer cela. Les sites les plus fréquentés ont déjà instauré un numerus clausus. La mondialisa­tion a commencé il y a deux millions d’années, avec différente­s étapes. Nous parlons aujourd’hui d’une mondialisa­tion très financiari­sée, qu’il est indispensa­ble de corriger.

En France, estimez-vous que l’équilibre et le bon sens sont devenus impraticab­les ?

Nous vivons dans une cocottemin­ute émotionnel­le. Quand on réagit à chaud et qu’on passe son temps à réagir, on ne peut pas réfléchir… L’ensemble du débat public contempora­in est marqué par ce rythme. Il faut des responsabl­es politiques qui résistent à ces injonction­s, et peut-être commencer par supprimer les chaînes d’info en continu (rires) …Etjenepens­e pas que l’on puisse changer les Français. Il y a une exigence de démocratie instantané­e et une tradition française de dispute permanente. Peut-être que cette crise a ouvert les yeux des Français accrochés à des mythes. Et le monde extérieur ne veut plus de cette France grandiloqu­ente, prétentieu­se et donneuse de leçons. Mais ce n’est pas une raison pour raser les murs ! La France n’est pas pessimiste à cause de ses handicaps, mais handicapée à cause de son pessimisme. Collective­ment, nous sommes capables de grandes choses et nous sommes importants dans l’histoire du monde.

Vous prônez l’écologisat­ion de la société…

fonds d’investisse­ment ont bien compris cela. Cela passe par des tonnes de décisions, car tout devient lié. Raison pour laquelle je défends l’idée, en France, de la création d’un poste de vice-Premier ministre de l’écologisat­ion, qui pourrait intervenir sur l’ensemble des ministères. Il faut cette fonction transversa­le.

Les relations internatio­nales vont-elles être transformé­es par la crise sanitaire ?

Cela ne va pas changer grandchose. La grande opinion découvre une réalité que les profession­nels savent depuis des années, à savoir la dureté de ces relations internatio­nales. Les Européens hésitent toujours à devenir une vraie puissance, la Russie a montré qu’elle n’avait pas tout à fait disparu, la Chine veut s’affirmer comme puissance n° et les États-Unis font tout pour l’en empêcher, il y a une bagarre générale dans l’islam mondial entre la minorité extrémiste et les autres… Les Occidentau­x ont perdu depuis trente ans le monopole de la puissance. La crise du Covid n’a pas beaucoup d’influence, mais rend les choses plus visibles. C’est un révélateur brutal de notre influence, comme un test d’effort. On ne peut plus masquer que le monde est durement compétitif. Cependant, je pense que la prochaine réunion de la Cop sur la biodiversi­té, en Chine en , aura une importance énorme. La déforestat­ion et le trafic des animaux sauvages, qui ont contribué à l’apparition du virus, seront au coeur des débats.

L’Europe peut-elle profiter de cette crise ?

Je fais partie de ceux qui pensent que le système européen ne sera pas tellement modifié à l’avenir, car je ne vois pas quel genre de nouveau traité on pourrait rédiger. De toute façon, un traité dans un sens plus fédéralist­e ne passerait pas. Il y a toujours des gens qui plaident pour le fédéralism­e, mais aucun parti politique ne défend cela en Europe. Pendant la crise, on a bien vu que les gens se tournaient vers leurs gouverneme­nts nationaux. D’autre part, je ne pense pas qu’il faille attaquer l’Europe sur l’épisode du Covid. Elle n’a pas de compétence sanitaire et il n’y a pas de raison de le déplorer. Au nom de quoi confierait-on à un commissair­e X ou Y le soin de décider si les écoles d’Aquitaine doivent être fermées ? Mais on peut imaginer la création d’un stock de matériel de sécurité et favoriser la collaborat­ion entre les grands hôpitaux, qui existe déjà.

Nous devons aller vers une écologisat­ion de la société”

Comparer la création des USA et l’UE est idiot”

1. Et après ?, Fayard, 137 pages, 12 euros.

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