Var-Matin (La Seyne / Sanary)

À Vallauris, voyage au centre de la terre

Déambulati­on au gré des ateliers dans la cité de la céramique où le renouveau est en marche. On découvre le savoir-faire de ces artistes, on écoute leur histoire et on s’initie à cet art du feu.

- AURORE HARROUIS aharrouis@nicematin.fr PHOTOS : FRANZ CHAVAROCHE

Ôcombien il était curieux, Picasso ! Toujours avide de découverte­s, de nouveaux médiums d’expression. Alors, quand il débarque à Vallauris, en 1946, l’artiste ne résiste pas longtemps à l’attraction de la terre. Il lui faut toucher. Modeler. Tourner. S’y frotter. Il le fera, initié par Suzanne et Georges Ramié, propriétai­res de Madoura, « la » fabrique de céramique. C’est aussi à cette époque que l’illustre Roger Capron offre une touche moderne à cet art du feu qui avait déjà vécu un certain déclin – exit la production alimentair­e, la pignate, les assiettes et les pichets à citronnade – dans la ville azuréenne. Ces artistes proposent de l’unique, de l’exceptionn­el, de véritables sculptures d'argile. Si leur style a quelque peu été oublié ensuite, avant de s’offrir une nouvelle cote toute belle auprès des collection­neurs ces derniers temps, sillonner les venelles et avenues de la ville aujourd’hui, c’est s’émouvoir de la folle vivacité qui renaît dans la cité des potiers. Au fil des céramiques à exposer chez soi ou dans lesquelles se régaler, l’air de la créativité se respire à pleins poumons. « Ces jeunes artisans offrent une vision actuelle. On n’est plus dans l’étalage des années soixante, où tout le monde faisait des cigales et des pots avec des olives », entame avec enthousias­me Philippe Mottier, directeur de l’office du tourisme. La belle endormie s’offre un nouveau sursaut. Notamment grâce à un programme d’accompagne­ment à la formation et à l’installati­on dans des locaux commerciau­x. Tout est facilité pour que les talents restent à Vallauris.

Créatures rigolotes et travail haute couture

Alors, vivons l’expérience du « céramique tour » ! Poussons les portes de leurs ateliers. Allons découvrir leur art... Le voyage au centre de la terre débute au château, où est accrochée une collection de céramiques, de tableaux du peintre Magnelli. À côté, l’oeuvre de Picasso, La Guerre et la Paix. Place de l’homme au mouton, l’artiste espagnol guide encore nos pas jusqu’à Chris Krainik. Dans son atelier du début de la rue Ambrosio, la céramique s’éclate. Créatures rigolotes. « Odogors » (sorte de lapins extraterre­stres) ultra pop et bigarrés, tout droit déboulés de l’imaginatio­n de cette ancienne directrice artistique à la Défense, à Paris. On crapahute dans les ruelles de la vieille ville. Vieille vraiment ? Pas tant ! Puisqu’à la fin du

XVe siècle, la peste décime toute la population. Le village est alors reconstrui­t avec des rues plus larges, en angles droits, afin de faciliter la circulatio­n de l’air. Et pour repeupler ces habitation­s, le seigneur Raynier de Lascaris fait venir des environs de Gênes des familles de potiers. Ceci explique donc cela. Rue de la fontaine, de magnifique­s bougainvil­liers grimpent sur les façades colorées. On redescend la rue du four pour atterrir sur la place Lisnard, ou de la Miséricord­e, ou du portail... Chacun y va de son petit nom. On y reviendra peut-être plus tard pour déjeuner au très bon Café du coin à moins de préférer un pan-bagnat du Café de France, au pied du château. Rue Clément-Bel, chez Capron, Julien, le petit-fils de Roger, s’active avec Pierrot Bruzzi. Travail monumental dans la moiteur de l’atelier. Ici, on ne fraye qu’avec les galeristes ou à la commande. On donne dans la haute couture céramique. À quelques pas de là, c’est un tout autre univers, féminin, végétal, nébuleux que propose Justine Ribera avec ses « Petites porcelaine­s ». Potière 3.0, elle travaille principale­ment grâce à son site Internet et son compte Instagram et expédie beaucoup. On poursuit la déambulati­on avenue Clemenceau. Au numéro 5, Marie Laglasse crée des tasses pour gauchers et droitiers. « Je venais déjà ici enfant. Il y avait tellement de monde que les parents nous tenaient la main », se souvient-elle. Aujourd’hui, la balade est apaisante. On dégringole en douceur jusqu’au collectif 573. Catherine et Maggy font de la colloc artistique. Au numéro 21, Jonathan Reynaud et Alexis Carpentier jouent aussi en double. Ils se sont rencontrés en formation céramique artisanale à Antibes. Leurs univers très urbains ont matché. Le premier, spécialist­e du moulage en plâtre et des barbotines de porcelaine, s’amuse à construire, à partir de 26 formes différente­s, des objets à l’infini. Le second s’inspire du street art et façonne des bombes de peinture en céramique, dans lesquelles il pousse le bouchon jusqu’à introduire une bille, pour que le rendu sonore soit parfait.

Les mains dedans

C’est bien beau à voir tout ça... Mais ça donne envie de toucher terre ! Au 29, toujours avenue Clemenceau, Jacqueline s’exécute au tour sous l’oeil encouragea­nt de la potière Laurène Jeannette. «En s’initiant, on oublie tout », souffle l’élève, persévéran­te, les mains pleines de terre. Voilà Christine, tout sourire à Lou Pignatier. Avec Gilles, son mari, ils sont garants d’une tradition qui court sur trois génération­s. « Mais on modernise, on épure, on enlève les tresses sur les anses des cruches. » Renouveau aussi au 50, chez Crociani, maison aux quatre génération­s de peintres et céramistes. On croise encore Dominique Cesaro, Cas’art, l’artiste qui fait bouger les choses et fédère l’avenue. Elisa Stoppani et son atelier La Poudre qui joue sur les textures, les rugosités. Maureen Stengel (MSG céramique) et ses incroyable­s pièces cousues qu’elle crée dans l’ancienne boulangeri­e, où l’on faisait le fameux pain Picasso autrefois. La balade s’achève avec Cyril Vandromme qui façonne des vestes de terre, comme un couturier et aiguille tous ceux qui souhaitent apprendre. Tous donnant à la terre des tournures les plus incongrues, des effets plastiques surprenant­s, renouvelan­t sans cesse notre regard.

Plus la poterie des années ”

Moderniser, épurer... ”

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