Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Reportage hier aux Moulins : entre fatalisme, désillusio­n et colère

- STÉPHANIE GASIGLIA

Plus une table de libre aux deux cafés de la place des Amaryllis en plein coeur des Moulins. Hier, c’était une matinée comme une autre. Ou presque. La queue à la boulangeri­e, du monde à la boucherie mitoyenne .... Sur les trottoirs de l’avenue Martin Luther King, le marché a installé ses étals, grand bazar à ciel ouvert où les riverains se pressent en masse en ce mardi matin. La vie reprend toujours ses droits dans cette cité de l’ouest de Nice.

« Bien sûr que l’on sort »

« Bien sûr que l’on sort ! Même si on a en tête ce qui s’est passé hier matin », souffle Mimoun. Hier matin, il est allé boire un coup sur la place avec des voisins. « Et ma femme est allée au marché avec la petite. Il faut bien continuer à vivre. En plus, quand on n’y a pas assisté, c’est pas pareil. On a vu la vidéo sur Internet, mais ça fait presque fake », renchérit le père de famille. Un fake, bien réel. Il le sait... Lundi matin, un groupe d’une dizaine de personnes, sorties de nulle part, vêtues de noir de la tête aux pieds et visages « masqués », a, selon des témoins, poursuivi et tiré avec une ou plusieurs « armes de guerre » sur un individu en direction de Paul-Montel. Une scène aussi violente que soudaine sur le parvis du supermarch­é, en plein centre des Moulins. Devant des passants sidérés. C’est la troisième fois en un mois que des coups de feu agitent, en pleine rue, ce quartier classé en zone de sécurité prioritair­e. Séverine se souvient des « journées tranquille­s aux Moulins, des soirées paisibles ». Aujourd’hui, la jeune femme « sort la boule au ventre ». Une de ses voisines a, d’ailleurs, assisté à la fusillade. « Elle a cru que c’était des pétards. Elle s’est retournée et a vu des jeunes qui courraient. Elle a compris qu’il y avait des flingues », raconte la trentenair­e. « Ils attendent quoi pour venir nous protéger ? », s’interroge Céline qui habite sur Paul-Montel. « Depuis quelque temps, j’osais à peine sortir mon chien le soir, en bas de l’immeuble, je fais super vite. Mais si maintenant on se fait tirer dessus en plein jour, qu’est-ce qu’on va devenir ? », souffle la mère de famille qui habite aux Moulins depuis 20 ans. « Ma fille a 17 ans. Elle a passé la semaine dernière chez son copain, elle devait rentrer hier soir, je lui ai dit de rester encore là-bas, je suis plus tranquille, mais bon, c’est comme ça la vie ici ». « On aurait bien aimé qu’il y ait la police qui patrouille un peu quand même », se désole un commerçant de la place des Amaryllis. « On n’a rien vu ce matin [mardi matin] », jure-t-il, « ce serait sécurisant pour tout le monde ». Effectivem­ent, pas de forces de l’ordre dans les rues. Ce patron, désabusé, ne veut surtout pas que l’on stigmatise toute la population : « 98 % des gens ne font pas d’histoire dans le quartier. Ce sont les 2 % restant qui posent problème. Normalemen­t, ils se tirent dessus entre eux, mais une balle perdue ça arrive ». Face à lui, la place se remplit. Il est midi bien sonné. Les Amaryllis deviennent le paradis des trottinett­es électrique­s, des scooters qui carburent sur roue arrière et qui slaloment entre les mères de famille qui hâtent le pas, cabas rempli de courses. Dans un coin, sous le « petit tunnel », ça fume, ça trafique mollement. Et ça parle faux billets de mauvaise qualité, « des 20 euros cramés de chez cramés je te dis »...

« Je n’y crois plus »

Mohamed est inquiet. Lui qui est né aux Moulins et qui y vit encore à 38 ans, dans un « petit bâtiment blanc », avenue Martin-Luther King, aux premières loges de la fusillade de lundi matin : « Notre quartier est sur une mauvaise pente. Il n’y a plus de code d’honneur. Les dealers petits ou gros n’ont plus de règles. Avant, il y avait du respect. Notamment pour les anciens. S’ils haussaient le ton, ça fonctionna­it, les petits filaient droit. Maintenant, tout le monde baisse la tête ». Et comme Séverine, il est en colère : « On nous oublie ! On se fout de nous. On va nous envoyer des policiers pendant trois jours et puis plus rien. C’est un vrai travail de fond qu’il faut faire ici. Encore faut-il que les pouvoirs publics en aient la volonté et je n’y crois plus ». Dans l’après-midi, des voitures de police ont commencé à patrouille­r de manière intensive. Certaines d’entre elles étaient stationnée­s sur Paul-Montel... De quoi calmer les esprits. Jusqu’à quand ?

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(Photo Dylan Meiffret) Petit à petit, hier matin, la place des Amaryllis, se remplissai­t, en ce jour de marché sur l’avenue Luther-King.

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