Les drôles de guetteurs de plage sur Pampelonne
Avec les contrôles constants des autorités locales sur le volume sonore diffusé par les établissements de plage festifs, une nouvelle fonction a vu le jour. La mairie tente de réagir
Derrière ses lunettes de soleil, le regard n’est pas si statique. Ses yeux sont en mouvement, intranquilles, et visualisent la scène bien au-delà de la poignée de touristes qui s’approchent de cette plage privée depuis l’entrée du parking voisin. Au loin, une forme a attiré l’attention de ce saisonnier d’un établissement de plage. Un uniforme bleu qui n’est pas en vacances. L’alerte est donnée. Le son percutant qui s’échappait des enceintes faisant danser les convives autour des tables a nettement chuté, le DJ mixant aussitôt une quasimusique d’ascenseur. La patrouille de la police municipale a été démasquée, le contrôle tombe à l’eau. Pour cette fois. Depuis le début de cette saison, entamée sur le tard – mais avec une fréquentation plutôt haute dans la baie de Ramatuelle, c’est une drôle de partition qui se déroule sur le sable de Pampelonne. Sur les plages festives, la fête vécue comme un exutoire s’emballe, les décibels qui voguent dans l’air : une parenthèse enchantée pour des vacanciers venus respirer une chaude ambiance. De l’autre, la commune de Ramatuelle qui tente d’imposer son mode de vie, avec une atmosphère beaucoup plus paisible.
Des contrôles quotidiens
Depuis début juillet, la confrontation est quotidienne. Les procèsverbaux s’empilent : « Trois établissements, officiels, installés sur le domaine public maritime [NDLR : dans le cadre des concessions établies par le schéma d’aménagement de la plage de Pampelonne], posent de gros problèmes », remarque-t-on en mairie. Pas de mystère, les noms sont cités : Verde Beach, Loulou à Ramatuelle et Indie beach. Trois plages verbalisées, « plus d’une fois » . Si la 1re contravention, en forme d’avertissement, s’élève à 5 000 euros, les suivantes grimpent à 10 000 euros. « Suite au PV, il y a une procédure contradictoire, évoque la police municipale en signe de dialogue. Les exploitants peuvent faire part de leurs remarques ». Le plus souvent, le motif relève d’un anniversaire ou la fête d’un client, pour lequel le volume sonore a dépassé les limites. « La première fois, on n’a pas contesté, c’était logique, confirme une source sur l’une de ces plages, plutôt beau joueur. Mais la fois suivante, les gens ont dansé une demiheure pour l’anniversaire d’un client » avant que le contrôle ne tombe, maugrée-t-elle. Du côté de la municipalité, on s’en tient au règlement. « Les exploitants choisis s’étaient engagés à respecter leur contrat de concession », martèle le maire Roland Bruno qui retrouve ce problème chaque saison depuis ses premiers pas d’élu. Mais cette année (pour la 2e année d’exploitation de la nouvelle concession), l’édile ne digère pas trop : « lors du conseil municipal en juillet, les élus ramatuellois ont décidé d’aider l’économie de la plage, avec une réduction de la redevance de50%». Une mention avait pourtant été rajoutée dans cette délibération : à condition de respecter le cahier des charges, dont fait partie le sujet des nuisances sonores. Au final, la commune a voté une baisse de 2,2 M d’euros de ces redevances [5 M d’euros collectés en 2019 pour la première année d’exploitation].
Comme un réseau de chouf’
Le moindre indice peut servir de signal. Pour gagner quelques secondes précieuses, certaines plages ont mis en place des guetteurs. Tout un écosystème, tel des « chouf’» d’un point de... « fête », à protéger coûte que coûte. Un nuage de poussières qui s’élève au loin, un jour sans vent, et c’est le signe qu’un quad est en approche depuis la plage. Un véritable jeu du chat et de la souris qui s’engage. Le responsable de la police municipale, acquiesce. « C’est vrai. Maintenant, ils savent bien qu’on les surveille » .Depuis l’an dernier, «ilyadesgens qui préviennent les plages ». Des guetteurs, « souvent du personnel de la plage », ou des professionnels périphériques, qui profitent de ce business balnéaire très lucratif. Pas besoin de courir, talkie-walkie à la ceinture, l’info circule plus vite que le virus. « Avant, on arrivait par la terre. Ils s’adaptent, oui, ils sont prévenus par une multitude de personnes », reconnaît le chef de la PM. Parfois, il faut un peu de chance. Comme avec ce guetteur, distrait qui n’avait pas entendu (musique trop forte certainement) venir l’engin de la police.
Deux plages hors normes...
Deux autres lieux festifs sont dans le collimateur mais leur situation est différente. Si la municipalité s’échine à contenir les nuisances d’établissements établis sur le domaine public, d’autres spots sont implantés hors de son champ d’action direct. Implantée sur un terrain privé en bordure de plage (Matarane), Bagatelle tambourine. Avec des P.V. à la pelle. Et entre les deux, un litige financier qui n’arrange pas la cohabitation. Une redevance de l’ex-concession non payée : 284 875 euros. Pas très loin (Tamaris), Shellona fait figure d’épouvantail depuis le 14 juillet. « Deux établissements non sélectionnés lors du précédent appel d’offres ont réussi à s’installer », concède la mairie. Est-elle surprise par le retour inopiné de Shellona ? «Onnelesa jamais perdus de vue », lâche le premier magistrat. Les procédures juridiques se sont multipliées entre les deux parties depuis l’été 2018 pour l’attribution du lot 23. Même si le lieu choisi pour réapparaître à Pampelonne, l’interpelle : « Je suis étonné qu’il se retrouve au milieu d’un camping, je ne sais pas comment cela est possible. Il n’y a pas eu trop de tapage pour l’instant, mais on va suivre cela de près ».
Deux mondes parallèles
Pourtant, c’est un peu la même rengaine chaque été. Ces situations n’étaient-elles pas prévisibles lors de la sélection des candidats, dont certains profils pouvaient laisser entrevoir les excès futurs ? Le contrat, le contrat, le contrat, répète-t-on en mairie, qui note les efforts de plages festives – Les Palmiers, Moorea, Indie beach – en matière de confort sonore. Mais il est vrai que certains postulants n’ont pas été avares en génuflexion et proposition de redevance en or pour obtenir la concession. Pour mémoire, des établissements comme Verde ou Loulou ont claqué 415 000 et 600 000 euros par saison pour dresser leur pays de cocagne. Alors que peuvent quelques P. V. quand il suffit d’envoyer deuxtrois magnums de champ’ sur des tables en folie pour éponger l’ardoise ?
Réceptacle des plaintes, «enprovenance de la plage publique, en général, on doit en tenir compte », stipule la police municipale en charge de contrôler « cette musique amplifiée ». Pas besoin de sonomètre (inefficace en plein air) : « On est sur un bruit de comportement », mélange de musique, chant et cris.
Le prix de la dissuasion...
Dans cet environnement ‘‘pampelonnesque’’ qui a toujours mixé esprit de fête et volupté, la municipalité s’arrime à un « juste équilibre entre amusement et repos. Je veux bien croire que les gens ont besoin de se lâcher en cette période de Covid », clame Roland Bruno, citant son mantra : «cen’estplusde la musique, c’est du bruit ». Un maire qui finit par admettre : « je me pose des questions sur l’effet dissuasion. Je suis heureux pour eux car la saison semble plutôt bonne ». Sans le formuler directement, il évoque les sanctions de la Préfecture : « On va arriver à cette situation si les problèmes continuent ». Avant cela, la municipalité a choisi de sortir un dernier atout, rendu public lors du dernier conseil, ce mardi 28 juillet : « les établissements ne respectant pas le cahier des charges n’auront pas de remise sur leur redevance », soit suivant les contrats d’exploitation, entre 150 000 et 300 000 euros de ristourne ! L’argent, définitivement le nerf de cette « guerre ».