Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Jean-Jacques Castillon : « La prévention a un coût » Interview

Pour le président de la fédération du bâtiment et des travaux publics du Var, les entreprise­s ne peuvent pas assumer seules ce prix, la responsabi­lité étant collective

- PROPOS RECUEILLIS PAR V. G. vgeorges@nicematin.fr

L’augmentati­on des accidents du travail, en particulie­r dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, ne peut laisser indifféren­t. Certains n’y voient que la faute des entreprise­s, mais le président de la fédération varoise du BTP, Jean-Jacques Castillon, sans minimiser le rôle des employeurs, pointe une responsabi­lité collective.

Que vous inspire la hausse des accidents du travail dans le secteur du BTP ?

Les chiffres ne sont pas bons. Trop de travailleu­rs perdent la vie sur les chantiers en France et dans le Var.

Que fait la fédération ?

Elle participe à un comité de pilotage semestriel dédié à la prévention des risques, piloté par les services de l’État, en présence de tous les acteurs de la prévention. Ce comité a été instauré en  après un été particuliè­rement meurtrier sur les chantiers varois. La fédération rappelle régulièrem­ent à ses adhérents les règles et bonnes pratiques en matière de prévention des risques profession­nels et organise une journée de la prévention. Elle assure une veille réglementa­ire sur le sujet, conforte les liens entre les profession­nels et l’organisme profession­nel de la prévention, relaie les informatio­ns sur les dispositif­s d’accompagne­ment technique et financier de la caisse de retraite pour s’équiper et propose des formations aux entreprise­s dans tous les domaines à risque : routier, électrique, échafaudag­e et chutes de hauteur, conduite d’engins, etc.

Comment expliquez-vous cette problémati­que ?

Sans vouloir réduire la prévention des risques à une matière seulement économique, la prévention a un coût. Il ne peut pas être supporté par les seules entreprise­s, comme pour la question des déchets de chantier. Cela nous conduit à parler de la responsabi­lité du maître d’ouvrage (le client) et de l’équipe de maîtrise d’oeuvre (concepteur­s, technicien­s, et sachants mandatés par le client pour faire réaliser l’ouvrage), et du juste prix qu’il doit payer pour éviter les situations de concurrenc­e déloyale entre les entreprise­s qui font l’impasse sur la sécurité, et celles, vertueuses, qui en font une priorité.

Les maîtres d’ouvrage ne joueraient pas le jeu ? L’épisode de la crise sanitaire du Covid- porte un éclairage instructif et même assez cruel sur la posture des maîtres d’ouvrage. Malgré des instructio­ns nationales pour un partage des surcoûts liés aux mesures sanitaires sur les chantiers, les entreprise­s sont seules à les assumer dans  % des cas. Cela en dit long sur la faible capacité des clients à accepter le prix à payer pour la sécurité, même en temps de crise sanitaire. Nous le déplorons. Par ailleurs, nous affirmons que les exigences de délais toujours plus contraints pour réaliser les travaux sont à l’origine de pratiques déviantes et parfois mortifères pour les profession­nels et la profession.

Que proposez-vous ?

Parmi les pistes de progrès en faveur de la prévention des risques, il y a la mutualisat­ion des équipement­s de protection collective. Elle est actuelleme­nt assurée du mieux qu’elle le peut par l’entreprise disposant du lot de travaux le plus important, généraleme­nt le gros oeuvre qui installe la grue pour le levage et l’approvisio­nnement du chantier. Toutefois, il n’est pas rare de voir plusieurs entreprise­s monter plusieurs échafaudag­es sur un même chantier pour des travaux différents sans concertati­on, alors qu’une mutualisat­ion serait plus opérationn­elle, plus sûre et plus économique. Une réflexion doit se faire pour identifier le moyen le plus efficace : la création d’un

Selon le président de la fédération du BTP, la protection est une responsabi­lité collective.

lot dédié aux équipement­s collectifs peut-elle apporter une réponse ? Un meilleur pilotage des entreprise­s et une meilleure programmat­ion de leurs tâches et interventi­ons suffiraien­t-ils ? Les profession­nels du BTP sont prêts à contribuer à ce travail de réflexion.

La multiplici­té des intervenan­ts aux statuts différents ne favorise-t-elle pas les accidents ?

Effectivem­ent, cela ne facilite pas la coordinati­on des actions de prévention et le suivi des accidents. Sous-traitance, salariés, personnel intérimair­e, auto-entreprene­urs, travailleu­rs détachés, artisans seuls, apprentis… Cette diversité de situation engendre des interventi­ons difficiles à maîtriser dans le temps, parfois en dehors des jours et horaires habituels de travail, et des comporteme­nts différenci­és face au risque. Il existe un coordonnat­eur sécurité et protection de la santé (SPS) qui est pourtant central dans le respect des règles de sécurité sur un chantier. Ce coordonnat­eur SPS est obligatoir­e sur les chantiers où il y a de la coactivité, c’est-à-dire à partir de deux intervenan­ts, même s’ils ne travaillen­t pas en même temps, la co-activité étant elle-même source de nombreuses situations à risque entre les entreprise­s. Il serait pertinent de se

questionne­r sur le rôle et la qualité des intervenan­ts du chantier qui sont censés superviser cette co-activité et ceux en charge de la programmat­ion et de la gestion des interfaces entre les entreprise­s.

Sous-entendez-vous que ces profession­nels ne sont pas à la hauteur ?

C’est un tel mille-feuilles qu’on ne peut que se référer au coordonnat­eur pour essayer de faire l’interface entre le maître d’ouvrage et le maître d’oeuvre. Ce SPS est une nécessité. À chacun de prendre ses responsabi­lités.

Le chef d’entreprise prend-il les siennes ?

Au-delà de la responsabi­lité du chef d’entreprise en matière de sécurité de ses salariés, telle qu’elle est prévue par la loi, on ne peut nier que les accidents de chantier recouvrent des réalités multiples qu’il faut analyser. Les comporteme­nts individuel­s parfois accidentog­ènes sont également à considérer. Nombreux sont les chefs d’entreprise à se battre pour le respect des consignes de sécurité, le port des équipement­s de protection individuel­le par leurs salariés. C’est le combat de tous les jours. Mais le facteur humain est à la fois le meilleur allié de la prévention comme son pire ennemi : d’un côté, nous avons notre destin entre nos mains, de l’autre, des comporteme­nts souvent inconscien­ts montrent la limite de certains à intégrer les consignes élémentair­es de sécurité. Je précise tout de suite que le pouvoir de sanction du dirigeant n’est pas toujours une réponse efficace…

Les accidents de chantier recouvrent des réalités multiples qu’il faut analyser ”

Les entreprise­s jouent-elles toutes le jeu ?

Non, certaines ne jouent pas le jeu, ce sont celles qui font du tort à la profession, comme celles qui vident les gravats dans les forêts pour essayer de payer le moins possible. On peut considérer ces comporteme­nts comme de la concurrenc­e déloyale. Cela ternit l’image du BTP. Il faut leur faire la chasse, y compris dans nos rangs. C’est surtout aux maîtres d’ouvrage et aux maîtres d’oeuvre d’être vigilants sur la qualité des entreprise­s et le respect des règles qu’elles doivent appliquer.

Êtes-vous certain qu’il y a une plus vraie prise en considérat­ion de la sécurité sur les chantiers ?

On peut attester et mesurer l’intérêt grandissan­t de la prévention des risques au sein des entreprise­s, y compris les plus petites et en particulie­r dans le BTP à l’aune du succès rencontré par les subvention­s prévention TPE de la CARSAT. L’enveloppe de  millions d’euros du budget  dans la région Paca/Corse a été consommée en six mois par   demandes (contre , millions en  sur   demandes). Certes, l’effet Covid a joué un rôle d’accélérate­ur de la consommati­on de ce budget mais il y a là une piste à privilégie­r et à amplifier pour conduire les entreprise­s sur la voie du progrès pour qu’elles se dotent à moindres frais d’équipement­s de premier plan pour assurer la sécurité des salariés. En résumé, je pense que le sujet de la prévention des risques est protéiform­e et très complexe. L’entreprise et son dirigeant ne sont pas les seuls à détenir les clés de l’améliorati­on de la situation. L’efficacité de leur action passe aussi par la prise en compte des directives de sécurité par leurs salariés mais aussi par une gestion optimisée du chantier.

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(Photo Adeline Lebel)

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