Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Nice, 1612 BAL MASQUÉ... OBLIGATOIR­E !

Cette mesure, contrôlée par les « abbés de bal », n’était pas prise pour des raisons de santé mais pour cacher sa classe sociale. À l’origine de celle-ci, Annibal Grimaldi aidé par l’abbaye de Saint-Pons.

- ANDRÉ PEYRÈGNE nous@nicematin.fr

on père, me permettrez-vous d’aller au bal de la Saint-Barthélémy, samedi ? - En voilà une question, Marie ! Cela demande réflexion. Il peut se passer tellement de choses ! Ta mère est-elle au courant ? Et monsieur l’abbé ? L’avis de monsieur le curé est obligatoir­e. Et d’abord avec qui veux-tu aller danser ? - Avec François, le garçon boucher de la grande rue! - Un garçon boucher ? Une fille de ton rang ne va pas danser avec un boucher ! - Mais, mon père, saint Barthélémy est le patron des bouchers, il est normal qu’il y ait des bouchers à son bal ! » Comme le père de Marie n’était pas homme à mettre des principes au-dessus du bonheur de sa fille, il finit par céder mais annonça : « Tu devras porter un masque ! » La règle, à Nice, en effet, était stricte : « Pour pouvoir participer à des bals ne correspond­ant pas à leur condition sociale, les personnes doivent être masquées. » Nice, à l’époque, était sous le règne du grand-duc de Savoie Charles- Emmanuel Ier. et avait pour gouverneur Annibal Grimaldi. En voilà un qui ne badinait pas avec la morale. Il trouvait que les moeurs, à Nice, se relâchaien­t et avait décidé de « pallier les nombreux désordres et inconvénie­nts qui arrivent à cause des bals ». Annibal Grimaldi appartenai­t à cette famille qui a donné des princes à Monaco mais aussi des seigneurs à Antibes, Puget-Théniers, Beuil. Annibal était comte de Beuil et gouverneur du comté de Nice. Il affirmait : « Io son comte di Boglio qual que vogli » – « je suis comte de Beuil et fais ce que je veux. » C’est lui qui, en 1612, édicta le règlement des bals niçois. Il décida de classer ces bals en quatre catégories : les « bals des gentilshom­mes » qui se déroulaien­t devant le palais du gouverneur (palais Sarde, cours Saleya), les « bals des marchands », qui avaient lieu devant l’évêché, les « bals des artisans », place Saint-François, les « bals des ouvriers et des pêcheurs » à la Condamine, dans le haut du Vieux-Nice. Pour faire appliquer la loi, Annibal Grimaldi se fit aider par une institutio­n religieuse, l’abbaye de Saint-Pons, qui était administré­e par son neveu Honoré Laugieri. L’abbaye de Saint-Pons nomma ce qu’on a appelé des « abbés de bal ». Il y en eut deux pour le bal des gentilshom­mes, trois pour celui des marchands, trois pour ceux des artisans, des ouvriers et des pêcheurs. Chaque « abbé » pouvait avoir des assistants dont la liste était communiqué­e au gouverneur de Nice.

Les armes laissées au vestiaire

La loi était stricte : « - Les abbés sont chargés d’ordonner les bals et de commander les musiciens. Il ne sera permis à quiconque, homme ou femme, de danser au bal des gentilshom­mes s’il n’est tenu pour noble par le conseil et dans les offices de la ville. - Les abbés devront vérifier que les gens ne dansent qu’au bal de leur classe. - La femme mariée suivra son mari dans le bal correspond­ant à sa classe. - Les femmes non mariées pourront danser dans les bals de la catégorie inférieure à la leur. - Les participan­ts devront laisser leurs armes au vestiaire. » Et il y avait donc, en plus, un paragraphe dérogatoir­e qui prévoyait l’obligation de porter un masque pour les personnes fréquentan­t un bal ne correspond­ant pas à leur classe sociale. Marie, masquée, était heureuse. La musique battait son plein. Rondeaux, gavottes, gigues et sarabandes enivraient la nuit niçoise. Les danseurs se mettaient en ligne ou en rond, ordonnaien­t leurs pas, se rapprochai­ent, se faisaient la révérence, se prenaient par la main, tournaient, s’éloignaien­t. C’était la fête ! Tout est beau, à Nice, en cette fin d’été... Sur les coups de minuit, les parents attendent le retour de leur fille. Ils sont inquiets. De tout temps, les parents ont été inquiets du retour du bal de leurs enfants ! Ils la voient enfin, galamment ramenée par un jeune homme, masqué, sur le pas de la porte. Depuis leur balcon, ils lancent un « Merci, François ! » à l’intention du jeune. « Ce n’était pas François, leur dit alors Marie. C’était Jacques... Il est relieur. Saint Barthélémy est également le saint patron des relieurs...»

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