Nice, 1612 BAL MASQUÉ... OBLIGATOIRE !
Cette mesure, contrôlée par les « abbés de bal », n’était pas prise pour des raisons de santé mais pour cacher sa classe sociale. À l’origine de celle-ci, Annibal Grimaldi aidé par l’abbaye de Saint-Pons.
on père, me permettrez-vous d’aller au bal de la Saint-Barthélémy, samedi ? - En voilà une question, Marie ! Cela demande réflexion. Il peut se passer tellement de choses ! Ta mère est-elle au courant ? Et monsieur l’abbé ? L’avis de monsieur le curé est obligatoire. Et d’abord avec qui veux-tu aller danser ? - Avec François, le garçon boucher de la grande rue! - Un garçon boucher ? Une fille de ton rang ne va pas danser avec un boucher ! - Mais, mon père, saint Barthélémy est le patron des bouchers, il est normal qu’il y ait des bouchers à son bal ! » Comme le père de Marie n’était pas homme à mettre des principes au-dessus du bonheur de sa fille, il finit par céder mais annonça : « Tu devras porter un masque ! » La règle, à Nice, en effet, était stricte : « Pour pouvoir participer à des bals ne correspondant pas à leur condition sociale, les personnes doivent être masquées. » Nice, à l’époque, était sous le règne du grand-duc de Savoie Charles- Emmanuel Ier. et avait pour gouverneur Annibal Grimaldi. En voilà un qui ne badinait pas avec la morale. Il trouvait que les moeurs, à Nice, se relâchaient et avait décidé de « pallier les nombreux désordres et inconvénients qui arrivent à cause des bals ». Annibal Grimaldi appartenait à cette famille qui a donné des princes à Monaco mais aussi des seigneurs à Antibes, Puget-Théniers, Beuil. Annibal était comte de Beuil et gouverneur du comté de Nice. Il affirmait : « Io son comte di Boglio qual que vogli » – « je suis comte de Beuil et fais ce que je veux. » C’est lui qui, en 1612, édicta le règlement des bals niçois. Il décida de classer ces bals en quatre catégories : les « bals des gentilshommes » qui se déroulaient devant le palais du gouverneur (palais Sarde, cours Saleya), les « bals des marchands », qui avaient lieu devant l’évêché, les « bals des artisans », place Saint-François, les « bals des ouvriers et des pêcheurs » à la Condamine, dans le haut du Vieux-Nice. Pour faire appliquer la loi, Annibal Grimaldi se fit aider par une institution religieuse, l’abbaye de Saint-Pons, qui était administrée par son neveu Honoré Laugieri. L’abbaye de Saint-Pons nomma ce qu’on a appelé des « abbés de bal ». Il y en eut deux pour le bal des gentilshommes, trois pour celui des marchands, trois pour ceux des artisans, des ouvriers et des pêcheurs. Chaque « abbé » pouvait avoir des assistants dont la liste était communiquée au gouverneur de Nice.
Les armes laissées au vestiaire
La loi était stricte : « - Les abbés sont chargés d’ordonner les bals et de commander les musiciens. Il ne sera permis à quiconque, homme ou femme, de danser au bal des gentilshommes s’il n’est tenu pour noble par le conseil et dans les offices de la ville. - Les abbés devront vérifier que les gens ne dansent qu’au bal de leur classe. - La femme mariée suivra son mari dans le bal correspondant à sa classe. - Les femmes non mariées pourront danser dans les bals de la catégorie inférieure à la leur. - Les participants devront laisser leurs armes au vestiaire. » Et il y avait donc, en plus, un paragraphe dérogatoire qui prévoyait l’obligation de porter un masque pour les personnes fréquentant un bal ne correspondant pas à leur classe sociale. Marie, masquée, était heureuse. La musique battait son plein. Rondeaux, gavottes, gigues et sarabandes enivraient la nuit niçoise. Les danseurs se mettaient en ligne ou en rond, ordonnaient leurs pas, se rapprochaient, se faisaient la révérence, se prenaient par la main, tournaient, s’éloignaient. C’était la fête ! Tout est beau, à Nice, en cette fin d’été... Sur les coups de minuit, les parents attendent le retour de leur fille. Ils sont inquiets. De tout temps, les parents ont été inquiets du retour du bal de leurs enfants ! Ils la voient enfin, galamment ramenée par un jeune homme, masqué, sur le pas de la porte. Depuis leur balcon, ils lancent un « Merci, François ! » à l’intention du jeune. « Ce n’était pas François, leur dit alors Marie. C’était Jacques... Il est relieur. Saint Barthélémy est également le saint patron des relieurs...»