Victor Marie Le Page L’ÉCRIVAIN VAROIS À PSEUDOS
Le prolifique auteur de romans et de polars toulonnais avançait masqué sous sa plume, avec des noms d’emprunts. Histoire de brouiller les cartes sur son talent littéraire...
Sans que ses lecteurs ne s’en doutent, Victor Marie Le Page (ou Lepage) est l’auteur de plus d’une centaine de romans. Toute sa vie, il a joué avec ses multiples identités, mené une existence trépidante et s’est forgé une réputation sulfureuse. Il a même joué avec son lieu de naissance. Par exemple, en fonction de certains de ses pseudos, il était né à Brest où habitaient ses parents. Mais sous son nom de naissance, soit Victor Le Page, il était né à Toulon le 2 décembre 1918, d’un père breton, Arsène Le Page, officier de la Marine et de Fanny Jullien, une Corse pure souche. Sans doute est-ce pour ça qu’il a joué sur ses deux origines... S’il restait discret sur son enfance et sa jeunesse passées à Toulon, on sait qu’il commença des études de droit, vite interrompues, puis exerça diverses activités dont celle d'agent électoral avant d’être incorporé le 19 novembre 1939. À sa démobilisation, le 15 octobre 1942, il revint à Toulon pour emménager au 42 de la rue Picot où il écrivit plusieurs romans dont l’action se déroulait dans les environs, notamment L'Amour au pluriel. À cause de ses changements d’identité littéraire et donc de style artistique, il était difficile de suivre sa ligne d’inspiration. Les auteurs qui multiplient les pseudonymes posent toujours des problèmes aux lecteurs qui ne s’y retrouvent plus (lire encadré). Que ce soit dans la Série Noire ou aux Presses de la Cité, c’est Ange Bastiani qui a fait les beaux jours des bibliothèques de gare des années 1960. Il faut croire que lui-même se perdait dans tous ses pseudos, car certains textes, salués par André Breton et signés Ange Bastiani, auraient pu être signés de Maurice Raphaël, son pseudo le plus « littéraire ». Tandis qu’inversement, le très littéraire Biscuit l’Amour, est paru signé Ange Gabrielli, son pseudo de livres coquins... De plus, les critiques s’accordent à dire que sous le même pseudo, ses livres sont de qualité inégale. Voilà qui complique encore plus la compréhension de cet auteur énigmatique.
Un côté mauvais garçon
Avant d’entamer sa boulimie d’écriture, Victor avait fait trois ans de prison. Écroué le 16 juin 1947 et libéré le 2 mars 1950, il avait été incarcéré deux ans pour escroquerie et un an pour « actes de nature à nuire à la Défense nationale », une inculpation sans doute liée au fait qu’il fut accusé de collaboration pendant la guerre. Mais, il semblerait que tout cela ne soit que diffamation, si l’on en croit ses contemporains. Il avait cependant toujours affirmé que, lors de son passage au centre pénitentiaire de Fresnes où il côtoya des truands, il avait eu l'idée d'écrire certains de ses polars. Une chose est sûre, il est reconnu comme l'un des maîtres de l'argot doublé de l’humour du milieu, notamment pour ses romans publiés dans la collection Un Mystère dont la plupart étaient consacrés à la pègre corse ou marseillaise. C’est dans cet esprit qu’un de ses livres, Le Pain des Jules, fut mis en scène au Théâtre des arts de Paris par Jean Le Poulain et dont la première avait eu lieu le 28 octobre 1958. Il fut adapté au cinéma par Jacques Séverac en 1960 ainsi que d’autres de ses romans comme Caltez Volailles devenu Méfiez-vous, mesdames avec Michèle Morgan et Danielle Darrieux. Sans que l’on sache vraiment comment, l’écrivain est mort prématurément à Paris en novembre 1977, à l’âge de 59 ans. Quel que soit son pseudonyme, quel que soit son style, quelle que soit l’ambiguïté sur son lieu de naissance, Victor Le Page, qui reste pour la littérature un écrivain éternellement réédité, est considéré comme un fils de Toulon.
Sources : Le mystérieux Ange Bastiani, revue La Corne de brume (2014) et Dictionnaire des littératures policières de Claude Mesplède.