Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Georges Ribemont-Dessaignes TRAYAS TRÈS CLASSE

Le peintre pointillis­te, inspiré par les estampes japonaises, a posé son chevalet sur la corniche d’Or en 1907. Retour sur une de ses oeuvres conservée au Musée de la Castre à Cannes.

- ANDRÉ PEYRÈGNE nous@nicematin.fr

Vous qui êtes allés au Trayas, à la frontière entre Var et Alpes-Maritimes, là où les rochers rouges de l’Estérel touchent au bleu de la Méditerran­ée, avez-vous vu ces deux grands pins aux troncs mauves ? Avez-vous remarqué ce ciel jaune, cette mer émeraude, ce sol rose, ces feuillages piqués de violet ? Non, c’est Georges Ribemont-Dessaignes qui les a vus ainsi en 1907, dans ce tableau conservé au Musée de la Castre à Cannes. Le regard de l’artiste ! Pour venir ici, peu avant les années 1910, il a emprunté la corniche d’Or, cette route duborddeme­rquia été ouverte en 1903 grâce à l’initiative du Touring Club de France (lire #NOUS du dimanche 9 août). Avant, cet endroit n’était qu’un lieu isolé de pêche au thon, protégé par une tour de garde. Avec Ribemont-Dessaignes, on n’est plus dans la peinture réaliste des paysages du XIXe siècle. On est entré dans l’art moderne. On se trouve à un tournant de l’histoire de la peinture. Il n’y a plus de perspectiv­e, de rivages qui s’arrondisse­nt jusqu’à l’horizon. « Ici, l’artiste présente un paysage travaillé en plusieurs à-plats », nous explique MarieLucie Véran, directrice adjointe au Musée de la Castre.

Géométrie de rêve

L’horizon est droit. Les troncs des arbres sont deux lignes verticales. Géométrie de rêve ! Toutes les influences qui ont nourri la jeunesse de Ribemont-Dessaignes se retrouvent ici : l’impression­nisme, le pointillis­me, les nabis (les « nabis » cherchent l’« extase » dans la couleur, ndlr). Avec, en plus, quelque chose qui tient de l’estampe japonaise. L’historien de la peinture Jean Arrouye admire « le travail raffiné de peintre qui nuance son ciel jaune, de vert et de rose, approfondi­t le bleu de la mer de violet et de vert, parvient à traduire la contradict­oire impression de légèreté et de densité du feuillage des pins en combinant en volutes un violet pur, un bleu dur et un vert mat. »

Dadaïste et surréalist­e

Et, au milieu de cela, on trouve une petite touche d’humour : ce petit voilier, qui vient faire un pied de nez à la rigueur des lignes droites. « Il ressortit du collage, et sa feinte naïveté d’image d’Épinal pervertit l’orientalis­me affecté de l’ensemble, poursuit Jean Arrouye. Sous le peintre perce ici le futur dadaïste et surréalist­e. » À partir de 1920, Georges Ribemont-Dessaignes deviendra, en effet, dada. Il écrira des textes surréalist­es comme Le Serin muet, joué par André Breton armé d'un long thermomètr­e, et Philippe Soupault, visage enduit de noir, tenant une cage à oiseau. Il composera le Pas de la chicorée frisée et Le Nombril interlope, préludes à la musique aléatoire qui causeront des scandales, déchaînero­nt les critiques. Après la Seconde Guerre mondiale, Ribemont-Dessaignes fréquente à nouveau notre région. En 1955, il s’installe à SaintJeann­et dans les Alpes-Maritimes. Il habite rue du Clavas, au pied du baou. De là, il a une vue circulaire sur la côte. Au loin, il peut deviner cette corniche d’Or où, en 1907, il avait vu deux longs pins violets au tronc mauve se détachant sur l’écran d’une mer émeraude...

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