Pas de répit pour le ballet
C’est un rituel savamment orchestré qui ne laisse pas à sa place au hasard. Tous les soirs d’été, le port de Saint-Tropez doit faire face au rush des bateaux qui rentrent à quai au même moment. Reportage embarqué à la capitainerie, où se joue une véritabl
Les premières arabesques nautiques débutent généralement à l’heure de l’apéro. Le moment idéal pour rentrer au port et profiter de la douceur d’une soirée d’été tropézienne. Il faut croire que tous les propriétaires (ou locataires) de yachts se sont donné le mot pour débarquer à la même heure. Voilà justement l’un d’entre eux qui approche à l’horizon. « Saint-Tropez, Saint-Tropez, de Mabel », crache la radio.
Réponse immédiate de la capitainerie : « C’est bon, il peut y aller. Charlie 53. »
Embouteillages
Lunettes de soleil solidement amarrées sur le nez, tignasse poivre et sel de vieux loup de mer, JeanFrançois Tourret affiche une sérénité à toute épreuve. « Notre travail dépend beaucoup de la météo, borde d’entrée le directeur du port. En cas de mauvais temps, tout le monde est rentré à 15 heures. » Mais ce soir-là, pas un nuage à l’horizon. C’est une vraie journée d’été comme les plaisanciers les aiment. Il est 18 h 30 et déjà, les « embouteillages » se forment au bout du quai. Voilà près d’une heure que Jean-Louis Bonello est vissé à sa radio, branché sur le canal 9. À croire que le micro de sa VHF qu’il porte comme une perfusion n’est que le prolongement de son corps. À peine un bateau a-t-il pointé le bout de son étrave, que le directeur adjoint du port sait à qui il a affaire. « Mieux vaut les reconnaître avant qu’ils n’arrivent pour pouvoir organiser le trafic, glisse-t-il à la vue du Léopard qui rôde dans le Golfe. «Par exemple, celui-ci n’a que 1,5 m de tirant d’eau, donc on va le mettre devant la petite plage. »
Mieux vaut reconnaître les bateaux”
Angles à combler
C’est là que débute la partie de Tetris. Avec différents tableaux à prendre en compte. Le bassin de l’Escudier est réservé à la petite plaisance et aux embarcations de - 18 mètres. Le vieux port accueille les yachts jusqu’à 50 m. Et la digue, les molosses qui peuvent mesurer 80 m. «Ilfaut pouvoir en envoyer un dans chaque zone sans gêner les autres, jongle ainsi JeanLouis Binello. Et puis il y a les angles à combler sur le port. C’est pour ça qu’il faut faire rentrer les embarcations dans le bon ordre ». Et faire face à l’invasion de « dix bateaux qui arrivent en même temps », comme un chef cuisto se retrouve dans le jus quand il a plusieurs grandes tablées à régaler au même moment. Il s’agit aussi de satisfaire les gros clients, dont certains préfèrent « se garer » « devant chez Sénéquier, toit de la capitainerie ont donc fort à faire. « Parfois, il faut même élever le ton parce que tout le monde ne connaît pas les règles. » Or, d’après le patron de la capitainerie, on ne rigole pas avec le protocole. «En général quand on rentre dans un port, il faut montrer patte blanche et se signaler par la VHF ». Ainsi, en cas de gros rush, ceux qui n’ont pas appelé avant peuvent être invités à « faire demi-tour et attendre un peu ». Soudain, une alerte. «Ah, lui, il s’est pris la pendille dans l’hélice ». Rien de grave. À voir les mines impassibles des responsables du port, on comprend que sur l’échelle de l’avarie, il s’agit d’un simple et vulgaire « bobo au genou ». Pour l’heure, les deux sentinelles ont les yeux rivés sur un mastodonte des mers qui s’annonce à l’entrée du port, noyé dans le contrejour du soleil couchant. Voici venu le Philmix ,un bijou flottant de 43 m de long qu’il va falloir caser quelque part. Et tant qu’à faire, dans un endroit bien en vue. Pour que tout le monde profite de la danse.
Parfois, il faut élever le ton”