Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Libre comme l’air

S’entraînant à Antibes, l’athlète paralympiq­ue Jean-Baptiste Alaize crève l’écran sur Netflix dans le docu Rising Phoenix. Rescapé de la guerre civile rwandaise, il en parle sans fard

- MARGOT DASQUE mdasque@nicematin.fr

Une marque dans le sable. Témoin de l’arrivée, en gardant toujours un regard sur le point de départ. Pour ne jamais oublier d’où l’on est parti, il faut mesurer où l’on souhaite avancer. Saut en longueur. Tout un symbole. Et ça, Jean-Baptiste Alaize l’a bien compris. Si aujourd’hui l’athlète paralympiq­ue dégomme les écrans, c’est grâce à sa sagesse acquise par la résilience. Un destin hors du commun que le sportif s’entraînant à Antibes raconte dans Rising Phoenix. Un documentai­re disponible sur la plateforme Netflix traitant du handicap dans le monde du sport à haut niveau.

Fuir l’horreur, prendre son envol

Sollicité pour participer au tournage, le médaillé se retrouve, à sa grande surprise, tête d’affiche du film. Et lorsque l’on écoute son passé, on ne peut que se taire et comprendre pourquoi… Dans sa basket droite, l’homme de 29 ans glisse une prothèse en carbone. Amputation du tibia. Métaphore concrète de la plus grande des pertes. « J’avais trois ans quand la guerre civile au Burundi, là où je suis né en tant que Tutsi, a éclaté. Avec ma mère on a dû fuir dans la rue, elle a été massacrée devant mes yeux. » Les coups de machette des Hutus lui volent tout. Son enfance, son innocence. Si les cicatrices du drame s’avèrent visibles, les plaies profondes restent cachées. « J’étais un enfant très introverti, je gardais beaucoup de choses pour moi. » Comme ses cauchemars. Des flashs. Son regard s’assombrit. « Pendant des années je ne pouvais pas m’endormir. » L’horreur en continu. Sa force de caractère le sauvera. Sourire en coin : « À 8 ans j’ai dit à la psy que je n’avais plus besoin d’elle. Mais qu’il fallait qu’elle me donne un dernier conseil. Elle m’a dit de parler, de ne plus me taire, d’exprimer ce que je ressens. »

Ne plus se taire

Et comme il ne fait jamais rien à moitié, ce petit grand va appliquer à la lettre ce mantra. Une démarche de libération on ne peut plus soutenue par ses parents adoptifs. Des êtres qu’on ne demande qu’à connaître lorsqu’il en parle avec autant d’affection. « J’en avais voulu à mon père biologique, j’ai cru qu’il m’avait abandonné. Mais en fait il voulait que j’aie une meilleure

vie. » Rejoignant un foyer en France à l’âge de 6 ans, il ne saisit pas encore ce qui l’attend : « Mon père adoptif m’avait raconté qu’on allait arriver sur une autre planète. Pour moi j’avais rendez-vous sur Mars ! » En débarquant dans un petit village de la région drômoise, la graine d’astronaute n’est pas déçue. « Je ne comprenais rien de ce qu’on me disait, je voyais des endroits que je ne connaissai­s pas, des gens qui ne ressemblai­ent pas à ceux que j’ai connus… Pour moi tous étaient des extraterre­stres, et pour eux c’était plutôt moi l’ovni ! » Entouré d’amour, Jean-Baptiste porte le nom d’Alaize – gravé sur sa poitrine : « Ce ne sont pas eux qui m’ont donné la vie. Mais je vous assure que je leur ressemble beaucoup ! » Rires. Il pense aussi à son frère, adopté également : « Lui est Hutu, du Rwanda. » Une fratrie hors norme, une famille qui veut rendre des enfants heureux. Pour lui, cela passera par le sport. L’équitation – avec galop 6 s’il vous plaît –

et la flopée de discipline­s proposées à l’UNSS : badminton, escalade, athlétisme. Athlétisme ? « J’étais fort en sport, mais lorsque j’ai fait gagner mes camarades en tant que dernier relais alors qu’on était derrière, j’ai senti avoir gagné

le respect. » L’adolescent marque une belle performanc­e. Qui, par la même occasion, va lui causer la révélation d’un grand secret. « Personne ne savait que j’étais amputé. Je portais toujours des jeans, des joggings, je ne me changeais jamais dans le vestiaire… » Prouver encore et toujours qu’il peut. Qu’il est à la hauteur. Qu’il a de la valeur.

Un compétiteu­r né

« À partir de là on m’a conseillé d’aller en club. » Première séance. « On nous demande de faire quelques tours comme test. » Sauf qu’une fois le cycle terminé, Jean-Baptiste Alaize n’entend pas le coup de sifflet. Il n’est plus sur la piste. Il est ailleurs. « J’ai associé la course à la survie. Je voyais à nouveau ce traumatism­e. » Catharsis. Il a trouvé son exutoire : « J’ai une cible tatouée sur l’épaule droite. J’ai toujours eu cette impression qu’on en voulait à ma peau… » À sa couleur aussi. Victime de racisme, il fronce les sourcils lorsqu’il dégaine les insultes qu’il a trop entendu résonner dans la cour : « Bamboula », « Sale noir »... « S’il y avait un problème dans le village, tu pouvais être sûr qu’on nous accusait mon frère et moi. » Des stigmates indélébile­s dans lesquels il puise sa force. Avec une bonne dose d’autodérisi­on : « T’imagines, déjà que je suis handicapé, en plus je suis noir ! On ne part pas forcément gagnant ! »Et pourtant, cet adjectif, il va se l’approprier. Aussi bien dans le clan des « para » que des valides. Quadruple champion du monde des moins de 23 ans, il parvient à intégrer l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performanc­e. « D’un coup je me suis retrouvé à la cantine avec Teddy Riner quoi ! Normal ! » Sept années exceptionn­elles. Sa carrière d’athlète ? Ponctuée d’ascensions, et de chutes. Lorsque l’on grimpe au sommet, le seul risque reste celui de tomber. Même si le goût de l’échec lui est acide, il lui est impossible de renoncer. Impensable. Tomber pour se relever. Et créer l’exploit. Arriver de nulle part et remporter la mise : oui, c’est exactement ça son truc. Détenteur du record du monde du saut en longueur handisport des moins de 23 ans et de France pour les seniors handisport, le natif de Muyinga ne fait pas dans la dentelle. Surtout quand il s’agit de créer la surprise, faire le show, lever les foules. Artiste du moment présent. Pour autant, il ne compte pas faire dans l’angélisme en faisant croire que les belles valeurs du sport règnent dans ce milieu… Manque de soutien de la part de sa fédération, heurts avec un coach, blessures, jalousies, prothèse défaillant­e, JO de Rio détestable­s… De tout cela, l’athlète en parle sans fard. Et ce n’est pas parce qu’il n’a plus peur de rien. C’est surtout parce qu’il ressent quelque chose de bien plus fort : la liberté. Résidant aujourd’hui à Miami, il souhaite partager son vécu pour transmettr­e un message de tolérance, d’optimisme, d’espoir : « Peu importe d’où l’on vient, qui on est, quand on veut, on peut. J’en suis la preuve vivante. » Phénix dansant sur les cendres. Sentant ses ailes se déployer. L’heure de l’envol a sonné, il ose dévoiler son envergure. Vivant parce que survivant.

■ Rising Phoenix, produit par Ian Bonhôte, disponible sur Netflix depuis mercredi.

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Longtemps, je revoyais des flashs la nuit ”

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Personne ne savait que j’étais amputé ”

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Qui que tu sois, quand on veut, on peut ! ”

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(Photos Sébastien Botella)

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