Georges Fenech : « Il faut se méfier des “dérapeutes”»
L’ex-député et président de la Mission de lutte contre les dérives sectaires met en garde contre les dérapages potentiels de la multitude de pratiques thérapeutiques non conventionnelles
Agapèthérapie, urinothérapie, fasciathérapie, reiki, analyse transactionnelle, rebirth, mais aussi yoga, homéopathie et autres régimes alimentaires spécifiques… Dans Gare aux gourous (1), l’ancien juge d’instruction et homme politique Georges Fenech recense près d’une centaine de « pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique » susceptibles de donner lieu à des dérives dramatiques. Le livre s’ouvre ainsi sur l’histoire d’une jeune mère qui, s’étant laissé convaincre que son cancer du sein était d’ordre psychologique, est morte dans d’atroces souffrances, totalement métastasée après avoir arrêté sa chimiothérapie. L’auteur déplore notamment que ces pratiques alternatives soient parfois cautionnées par le monde hospitalier et universitaire. Alors que quatre Français sur dix et 60 % des malades du cancer ont aujourd’hui recours aux médecines douces ou alternatives, « Internet est devenu le web “open bar” des charlatans et des prodiges médicaux les plus extravagants », s’insurge-t-il.
Vous recensez plusieurs centaines de « pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique ». Au-delà des quelques cas tragiques que vous relatez, peut-on quantifier leurs dégâts sanitaires ?
On est dans un domaine de souffrances inaudibles. On ne sait donc pas exactement le nombre de personnes victimes d’abus. Mais cela représentait, en gros, un signalement sur deux que je recevais lorsque je présidais la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires. Et je recevais, alors, deux mille signalements par an. La justice reçoit aussi des signalements directement. Le nombre de victimes est donc très important.
On estime que Français environ seraient touchés par ce phénomène, dont enfants.
Comment faire le tri entre une pratique anodine, qui peut apporter du réconfort, et une autre dangereuse ?
C’est toute la difficulté, puisqu’il n’y a pas de recensement officiel des pratiques néfastes. Il existe juste le Groupe d’appui technique auprès du ministère de la Santé, que j’ai initié en et qui évalue les méthodes des pratiques thérapeutiques non conventionnelles. Sauf que ce Groupe d’appui a péniblement évalué une dizaine de pratiques, alors qu’on en dénombre plusieurs centaines. Son site Internet permet néanmoins de se renseigner sur ce qu’est l’auriculothérapie, la mésothérapie, la kinésiologie… Les associations sont une autre source d’information, notamment l’Unadfi (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu) et le CCMM (Centre contre les manipulations mentales). Elles reçoivent des plaintes de victimes et ont des dossiers. Ensuite, il y a des signaux qui doivent alerter : il faut se méfier de ceux qui vantent des guérisons miraculeuses, y compris pour des pathologies lourdes comme le cancer, des prix souvent exorbitants à la clé. Surtout, il faut se garder des « dérapeutes », comme je les appelle, qui amènent les patients à rompre avec le soin traditionnel. C’est la ligne rouge ! Autant certaines techniques ne sont pas dangereuses en soi et peuvent apporter un réconfort, autant l’arrêt du soin conventionnel devient très inquiétant.
Mais comment empêcher des malades de se tourner vers des pratiques alternatives, quand la médecine traditionnelle ne les guérit pas ? C’est humain et vous citez d’ailleurs l’exemple de François Mitterrand qui a un peu tout tenté face à son cancer…
On est dans un domaine de liberté. Chacun est libre de se soigner comme il l’entend, c’est le principe édicté par la loi Kouchner. Une fois rappelé ce principe, il est du devoir des pouvoirs publics d’informer les citoyens sur les précautions à prendre et les dangers inhérents à certaines pratiques. Il ne faut pas interdire, mais mettre en garde ; ensuite, chacun fait ce qu’il veut. Il est naturel de chercher à se traiter par tous les moyens quand la médecine traditionnelle est incapable de soigner à %, surtout pour des parents confrontés à la maladie grave d’un enfant. Et quand on va sur Internet, c’est le supermarché, avec notamment un mouvement de rapprochement de la nature qui a désormais envahi l’Europe.
À vos yeux, la justice est trop clémente, l’université et l’hôpital trop accueillants pour certaines pratiques dont rien ne prouve l’efficacité…
Il y a là une forme de scandale public. De grandes universités françaises délivrent en effet de pseudo-diplômes à certaines pratiques, ce qui leur confère un vernis officiel, sans que ces médecines aient été éprouvées scientifiquement. On délivre ainsi des diplômes de naturopathe ou de kinésiologue, alors même que la kinésiologie fait l’objet de mises en garde de l’Institut national de la Santé.
Comment alors mieux encadrer l’offre sanitaire, sans attenter à la liberté de chacun ?
Le législateur devrait prononcer une interdiction d’enseigner dans les universités les pratiques non validées scientifiquement. On sait bien que derrière se niche un marché financier colossal et que les universités ont besoin d’argent. Mais on y fait entrer des gourous qui peuvent ensuite mettre leur plaque de diplômés. C’est une forme de tromperie.
Vous allez faire hurler certains : pour vous, le déremboursement de l’homéopathie est justifié car elle est totalement sans effet…
C’est le constat des médecins. L’homéopathie n’a jamais été validée par la moindre preuve scientifique. Toutes les études qui ont démontré son efficacité ont été menées par des personnes liées aux laboratoires, et elle n’a jamais été soumise à l’autorisation de mise sur le marché. Le gouvernement a été courageux d’arrêter son remboursement. Cela ne l’empêchera pas de continuer à exister. Beaucoup de Français prennent de l’arnica ou autre chose, ça leur fait du bien, tant mieux, mais cela ne relève pas de la science : soigner le mal par le mal en diluant à l’infini un principe actif et en le transmettant par la mémoire de l’eau relève de la croyance. Aux États-Unis, on précise qu’elle n’est pas prouvée scientifiquement, alors que certains pays nordiques l’interdisent. Sans compter qu’elle est à l’origine de rares accidents, comme cet enfant italien qui est mort pour avoir été traité d’une otite par homéopathie.
Comment lutter contre le climat de défiance envers la médecine conventionnelle ?
Plusieurs grands scandales sanitaires (sida, sang contaminé, Mediator…) ont entamé la confiance. Et cette crise de confiance est justement l’une des raisons de l’engouement des Français pour les médecines alternatives. La médecine conventionnelle doit sur ce point faire son mea culpa. Elle a trop longtemps négligé la personne du malade, en ne traitant que le mal. Or, un malade est une personne, dont il faut prendre en compte l’anxiété, la dimension psychologique, ce que les gourous savent très bien faire. Les hôpitaux devraient davantage prendre en charge, avec des psychologues, la dimension holistique, globale, de la maladie.
Votre regard sur les multiples formes de coaching, dans une société de plus en plus angoissée ?
Il ne s’agit pas de remettre en cause le coaching ou le développement personnel. Mais il faut mettre en garde : par le biais de la recherche du bien-être ou de la performance, on peut tomber sur des escrocs qui vont faire du patient un adepte. On le voit dans la formation professionnelle, où on dénombre pas moins de organismes qui peuvent relever de dérives sectaires.
La médecine conventionnelle a trop négligé la personne”
La Scientologie, que vous avez beaucoup combattue, est-elle toujours active en France ?
En France, elle n’a pas disparu, mais on a réussi à la contenir. Les scientologues français se revendiquent mais ils sont plutôt entre et . Ils ont toutefois toujours pignon sur rue et d’importants moyens : ils viennent d’acquérir un grand bâtiment à Saint-Denis, au bord de l’autoroute, à deux pas du futur site olympique, pour bénéficier d’une grande vitrine. Malgré les condamnations, la scientologie est toujours là. 1. Éditions du Rocher, 270 pages, 18 euros. Georges Fenech sera présent au Festival du livre de Nice, les 18, 19 et 20 septembre.