Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« La joie est encore plus forte »

Vingt ans après le titre mondial 250 avec Yamaha, le team varois Tech3 a gagné un Grand Prix dans la catégorie reine avec KTM. Une réussite que le boss, Hervé Poncharal, savoure à fond

- PROPOS RECUEILLIS PAR GIL LÉON

C’était impossible, donc il l’a fait ! Voilà deux semaines, sur le circuit de Spielberg (GP de Styrie), le pilote portugais Miguel Oliveira, sorti de sa boîte tel un diablotin à l’abord de l’ultime virage, s’est glissé dans un trou de souris, passant de la troisième position à la première en une fraction de seconde. Triomphe en MotoGP historique pour lui comme pour le team Tech, en quête de cet instant d’éternité depuis , l’année de son arrivée dans la catégorie reine au lendemain du titre mondial  cc conquis avec Olivier Jacque. Ainsi, le capitaine du navire varois ancré à Bormes-les-Mimosas a vraiment eu le nez creux en , quand il décida de couper les ponts avec Yamaha afin de suivre le cap tracé par KTM. Croisé juste avant de reprendre le large en direction de Misano (GP de Saint-Marin, - septembre), Hervé Poncharal décrypte les tenants et les aboutissan­ts d’une victoire qu’il n’attendait plus...

Hervé, deux semaines après ce jour de gloire, êtes-vous toujours sur un petit nuage ?

Ah oui, vous pouvez écrire que je suis dans la ouate et que je m’y trouve bien ! (Large sourire) Blague à part, nous avons fêté la victoire comme il se doit le soir même. Une fois accomplies les obligation­s médiatique­s et la photo de famille immortalis­ant ce résultat historique pour KTM et Tech, on a célébré ça entre nous en faisant une bonne bouffe dans un resto. Moi, en fait, je réalise vraiment ce qui vient de se produire plus tard. En pleine nuit, seul, à l’hôtel, lorsque j’ouvre mes messagerie­s, toutes pleines à craquer...

Justement, parmi ces innombrabl­es mots de félicitati­ons, quel est celui qui vous a le plus touché ?

J’en ai comptabili­sé plus de . SMS, WhatsApp, emails... Bluffant, non ? Surtout que chaque texte avait une âme. Voilà pourquoi je me suis efforcé de répondre aux uns et aux autres. Certains provenaien­t de personnes dont je n’avais plus de nouvelles depuis des lustres. Par exemple des gens travaillan­t pour les marques que nous représenti­ons autrefois. Honda, Suzuki, Yamaha... (Il réfléchit) Allez, le message qui garde une place à part, c’est celui de Stefan Pierer, le grand patron de KTM. Il était à Spielberg le weekend précédent (Grand Prix d’Autriche, ndlr), lorsque Miguel Oliveira et Pol Espargaro partent au tapis ensemble. Là, il n’avait pas pu faire le déplacemen­t.

Cet homme est tellement passionné, enthousias­te, dynamique. Il a accordé sa confiance à Tech en nous offrant le statut d’équipe usine bis, en nous fournissan­t les mêmes motos dotées des ultimes spécificat­ions. Je suis très heureux que KTM triomphe à domicile grâce à nous. On ne pouvait pas mieux le remercier.

L’émotion est-elle aussi forte qu’en , l’année de la couronne mondiale  coiffée avec Olivier Jacque et Yamaha ?

C’est incomparab­le. A l’époque, l’aventure avait duré neuf mois. Vous montez en puissance course après course. Petit à petit, l’objectif se précise. Donc, le titre, vous le voyez arriver. Là, en revanche, effet de surprise total ! Très sincèremen­t, ces derniers temps, je n’imaginais plus Tech monter un jour sur la plus haute marche du podium MotoGP. Chez Yam’, on a raté le coche de justesse avec Johann (Zarco), entre autres. Ensuite, fin , nous partons chez KTM pour un défi différent : le développem­ent d’un projet longue durée. Comment croire que l’on embrassera­it la victoire aussi tôt ? Quelque part, la joie est encore plus forte, plus grande. Parce que personne ne s’y attendait.

Mais en voyant Miguel talonner le duo MillerEspa­rgaro à l’abord du money-time, l’autre jour, vous commencez à y croire tout de même ?

Non, je suis en apnée ! A vrai dire, je commence juste à penser au podium, tout en songeant que ces trois loustics peuvent aussi finir à plat ventre si ça tourne mal. Quand je le vois se rapprocher très près, au début du dernier tour, je me dis qu’il a un truc en tête. Moins bouillant, plus lucide et calme que les deux autres, il peut profiter de la moindre occasion, s’infiltrer si on lui laisse une ouverture, je le sais. Voilà, ça s’est produit dans l’ultime virage, une courbe très rapide, dure à négocier, propice aux rebondisse­ments.

Pour Tech, ce triomphe comble-t-il totalement les pertes générées par le long coup d’arrêt du confinemen­t ?

Bien sûr ! Quoiqu’il arrive, désormais,  restera une saison fabuleuse. Aller chez KTM, signer un contrat de trois ans avec eux, ce fut ma décision. Un choix qui a suscisté pas mal de doutes et de craintes en interne, je l’ai ressenti. Au début, il m’a donc fallu consommer quelques litres de salive pour convaincre certains de regarder le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide. C’est logique. Alors imaginez ma satisfacti­on en voyant toute l’équipe exploser de joie lorsque Miguel coupe la ligne d’arrivée. Depuis trois courses, l’osmose entre l’usine et le team était déjà palpable. KTM vient de gagner deux des trois derniers GP grâce à Binder et à Miguel. Croyez-moi, maintenant, on nous regarde d’un autre oeil dans le paddock. Le vilain petit canard s’est métamorpho­sé en cygne majestueux du jour au lendemain...

Comment expliquez-vous la fulgurante montée en puissance de KTM ?

Par rapport à des géants tels que Suzuki, Honda ou Yamaha, KTM, c’est une PME. La marque se donne les moyens de ses ambitions, d’accord, mais on ne dépense pas plus que les autres. En revanche, chez eux, il y a une espèce de volonté absolue, une motivation, un engagement que je n’ai jamais rencontré ailleurs. A Mattighofe­n, un échec ne met personne à plat. Là-bas, la défaite, elle agit comme un boost. Je n’ai jamais vu des gens ayant autant envie de gravir la montagne.

Peut-on parler d’un effet Tech ?

On peut dire que l’équipe travaille d’arrache pied. Elle apporte sa pierre à l’édifice à travers ce savoir-faire incarné par Guy Coulon (le directeur technique, cofondateu­r du team avec lui en ) Après chaque roulage, essais ou courses, nous discutons sans cesse avec l’usine dans un seul but : l’évolution de la moto. Ce progrès spectacula­ire, on le doit aussi au fait qu’il y a désormais quatre pilotes en piste au lieu de deux. Sans oublier l’énorme contributi­on de Dani (Pedrosa, le pilote d’essais KTM) qui a abattu un boulot fabuleux et donné les bonnes directions.

KTM peut-il décrocher le titre constructe­urs  ?

Pour l’instant, Yamaha mène la danse d’une courte tête devant Ducati et KTM. Nous sommes à l’affût malgré nos deux résultats blancs puisque Miguel s’est fait shooter par Brad Binder (GP d’Andalousie) puis par Pol Espargaro (GP d’Autriche) alors qu’il pouvait finir dans le top  de part et d’autre. Vous savez, cette saison à nulle autre pareille a déjà provoqué tellement de surprises en l’espace de cinq manches. Qui est capable aujourd’hui de prédire à coup sûr son issue ? Moi, je ne vais pas vous balancer que KTM est favori désormais. Mais je ne vous lâcherai pas non plus que KTM n’a aucune chance d’obtenir le pompon.

Et si vous deviez miser une pièce sur l’identité du pilote qui succédera à Marc Marquez au palmarès du MotoGP dans deux mois ?

Si vous m’aviez posé cette question après les deux premières échéances à Jerez, je vous aurais répondu Fabio (Quartararo) sans hésiter. Aujourd’hui, je pense que ça va se jouer entre lui et ‘‘Dovi’’ (Andrea Dovizioso). Lorsque la Yamaha marche, Fabio est super fort. Dans le dur, il ne commet pas d’erreur, ou très peu. Alors voyons comment il va réagir sur les tracés favorables se profilant droit devant, à Misano en premier lieu. Quant à ‘‘Dovi’’, c’est un vice-champion du monde puissance  (, , ). Le gars qui l’a battu chaque fois n’est pas là. Lui vient d’annoncer sa séparation avec Ducati en fin de saison. Donc il a une belle histoire à écrire. Pour moi, c’est « fifty-fifty ».

Le vilain petit canard s’est métamorpho­sé en cygne majestueux ”

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(Photos David Goldman et Gareth Harford) Deuxième victoire au top niveau pour KTM, première pour Miguel Oliveira et le team Tech : un instant d’éternité célébré comme il se doit par Hervé Poncharal et son équipe en Autriche.
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