Questions de peau
Dans la foire aux vanités contemporaines, le lauréat de la semaine s’appelle Sylvain. Prénom qui ne vous dira rien. Plus connu sous le pseudo « Freakyhoody » (de freaky, monstrueux, et hoody, sweat à capuche). Vous y êtes ? Tatoué de la tête aux pieds, jusqu’au blanc des yeux, ce maître d’école de ans serait le recordman du monde du genre. Chacun jugera du résultat. Disons qu’on est quelque part entre la créature mi-homme, mi-reptile d’un film de SF des années et le membre d’un gang hondurien. On ne démêlera pas ici les obscures motivations (choix esthétique ? désir de se singulariser ? appétit de notoriété ?) qui peuvent conduire une personne apparemment saine de corps et d’esprit à s’infliger pareil traitement. Elles lui appartiennent. Passons sur ce qu’il y a d’ironique à entendre Freakyhoody demander « qu’on passe au-delà de son apparence » – c’est vrai, on sent que lui n’y attache pas du tout d’importance… La question est : est-ce la tenue adéquate pour faire la classe à des tout-petits ? Il paraît qu’ils ne sont pas choqués – à quelques exceptions près, et c’est encore trop. Qu’au bout d’un moment, ils s‘y font. La belle affaire ! C’est justement le propre des enfants que de se faire à tout. Et d’accepter comme normal ce qui émane du monde des « grands ». Sylvain veut être jugé sur son travail ? Soit. Mais l’apparence, le message qu’elle envoie font partie du rapport pédagogique. Par ce qu’il paraît autant que par ce qu’il fait, l’instit est – ou devrait être – une référence, un modèle. Une figure
dans laquelle tous les enfants puissent se reconnaître. « Si un maître s’apprête à faire ou dire quelque chose qui puisse choquer un seul parent, qu’il s’abstienne », disait Jules Ferry. Pas de meilleure définition de la laïcité, qui est d’abord neutralité. L’individu, ses passions, ses engagements, en l’occurrence ses lubies, s’effacent derrière la fonction. C’est ce que symbolisait jadis la blouse grise du maître. Tenue éminemment… « républicaine », pour reprendre le mot de Jean-Michel Blanquer, qui a été tellement raillé. En l’occurrence, il s’inscrivait – maladroitement – en réponse à l’autre polémique de la semaine, qui, par bien des aspects, rejoint la précédente : celle déclenchée par le mouvement dit du septembre : la mobilisation de collégiennes et lycéennes contre les interdits vestimentaires à l’école. Où il est encore question de peau. Du licite et de l’illicite. Du caché et de l’apparent. Beau sujet d’études pour les sociologues que cette bataille du crop top – ce haut court laissant apparaître le nombril –, qui se situe à l’intersection de trois phénomènes de société : l’éternel désir de la jeunesse de s’affirmer en rompant avec les codes vestimentaires (ou capillaires) de la génération d’avant. Le triomphe de l’idéologie post-soixante-huitarde du « chacun fait ce qui lui plaît ». Et plus intéressant, dans le prolongement du mouvement metoo, la revendication du droit pour les filles de porter ce qu’elles veulent – shorts, jupes courtes ou décolletés – sans être vues comme des objets sexuels. Il s’agit en somme de retourner la charge de la preuve. Quand les convenances traditionnelles (et les instructions parentales) enjoignent aux filles d’éviter les vêtements « sexy » afin de ne pas « provoquer », le néo-féminisme répond : non, on s’habille comme on veut ; c’est aux garçons de changer leur regard. Et il y a du boulot… Dans ce combat contre le sexisme, l’école a un rôle majeur à jouer. Elle y a déjà puissamment contribué. Mais si la protestation du septembre mérite d’être entendue, certains règlements assouplis, l’école ne peut être le lieu du tout-permis. Aucune communauté ne peut exister sans codes ni règles. Comme disait le sapeur Camember, « quand les bornes sont franchies… »
« Dans ce combat contre le sexisme, l’école a un rôle majeur à jouer. »