JOLIE MÔME
JULIETTE GRÉCO EST DÉCÉDÉE DANS LE VAR À L’ÂGE DE ANS
Je ne supporte pas la mort des autres. On nous vole alors ce qu’on aime. La mienne, je m’en fiche. Ma postérité ne me fascine pas ! », avait coutume de dire celle qui sur scène avait le rituel du noir mais qui en privé, chez elle à Ramatuelle, portait du blanc. Hier pourtant l’ambiance était bien sombre aux abords de sa demeure de l’Escalet, perchée au-dessus des flots où s’est pressée sa petite-fille Julie. En passant le portail en fer forgé sous les pins de la villa Maïa, pour raccompagner la représentante du service des pompes funèbres du Golfe, Marc son majordome, ne veut d’ailleurs pas confirmer la nouvelle. Prétextant qu’il est arrivé malheur à une autre personne de la maison, où pourtant elle vit seule depuis la disparition de son mari Gérard Jouannest...
Le bout du chemin
En s’envolant à l’âge de 93 ans, Juliette Gréco, la plus littéraire des chanteuses françaises, laisse un vide immense. Tout comme Michael Lonsdale disparu ce lundi, certains de ses proches parlent toutefois de « Délivrance »à propos de l’artiste très affaiblie depuis ses tracas de santé [lire par ailleurs]... « Je l’avais vu il y a deux mois, elle était vraiment fatiguée...», confie pudique le maire de Ramatuelle, Roland Bruno qui, autrefois, lui décerna la médaille de la Ville. Une amie encore en visite cet été, se souvient d’une silhouette amaigrie, allongée dans son salon, les yeux dans le vague et une bouche, pourtant si volubile autrefois, qui n’émettra pas le moindre son jusqu’au terme de la rencontre... « Elle était maquillée, coiffée, bref, faite coquette et encore présente, mais tellement faible.. Légère comme une plume ». Juliette s’en est donc allée ce mercredi dans son paradis de l’Escalet. Depuis son enfance estropiée par une espèce de malnutrition affective, la native de Montpellier n'a cessé de se régénérer au soleil de Méditerranée. De Saint-Tropez à Monaco en passant par Antibes ou Saint-Paul-de-Vence. Havres où la « jolie môme » multipliera les délicates rencontres avec les plus grands. Vian, Prévert, Sartre ou
Sagan, qui lui sauva la vie un soir de déprime après une prise massive de somnifères... «Tant mieux j’ai pu faire plein de trucs ! », s’amusait-elle tout en fustigeant cette « lâcheté ».
Muse fascinante
« J'ai débuté avec Prévert, Sartre, Queneau, Vian, Laforgue. Puis, j'ai continué avec Ferré, Brel, sans compter les poètes comme Aragon, Mac Orlan… Cela constitue un catalogue ahurissant ! ». Et intimidant. Un certain Serge Gainsbourg, dont elle fut jadis voisine, rue de Verneuil, en fit les frais mais lui écrivit La Javanaise, assura ses premières parties avant de devenir à son tour maître chanteur notamment pour Bashung, dont Juliette fut la marraine artistique à ses tout débuts. Jamais « snob » concernant la relève, elle suscitera avec son retour discographique de 2003, l’engouement d’une horde de jeunes auteurscompositeurs (Biolay, Bénabar, Melody Gardot, Féfé, Marc Lavoine, Amélie Nothomb...). « C’est fou, les textes et musiques arrivent par wagons ! », s’étonnait la chanteuse de son salon ramatuellois où elle reçut entre autres son protégé Miossec ou l’ami Abd al Malik qui lui dédiait son concert cet été à Ramatuelle avant d’aller saluer le lendemain celle qui était sa « marraine artistique ». Hedi Slimane qui signa le portrait de l’album Gréco chante Brel (2013) a, lui, fini par devenir son voisin à l’Escalet.
Talent sans ambition
Son attachement à nos terres lui vaudront d’être sollicitée pour inaugurer une salle à son nom à Carros en décembre 2003. Mais tout ne fut pas toujours aussi simple sur les planches... Son indépendance et sa liberté de ton lui vaudront les horions de certains. Ainsi, Bruno Coquatrix, le soir d’une générale à l’Olympia, lui glisse « Je ne comprendrai jamais le succès que vous faites avec ce que vous chantez »… « J’ai pleuré toute la nuit ! Le lendemain j’avais des yeux à la coque avec de grosses paupières blanchâtres… Il avait aussi coutume de dire : "Gréco c’est un talent sans ambition". C’est vrai, je n’ai jamais été ambitieuse, car je considère que la première place dans ce métier n’existe pas », expliquait-elle toujours d’une voix caressante, avec cette bienveillance avunculaire qui la rendait si proche des gens. « Je ne crois pas à la sagesse qu’on me prête. Ou bien c’est celle des fous. Car il ne faut pas se fier aux apparences, j’ai un grain… Il y a un petit oiseau qui de temps en temps vient se poser sur mon épaule. Comme Barbara, Brel, Brassens ou Reggiani, qui étaient des fous magnifiques, j’ai la logique imperturbable des dingues ! » », badinait alors Juliette, le regard ceint de noir mais en se préservant toujours d’emprisonner sa vie dans une comédie grave. Que ce soit durant sa carrière hollywoodienne dans le sillage de sa relation avec le producteur U.S, Darryl F. Zanuck ou après son succès dans Belphégor en 1965.
Marianne de Liberté
Muse de Sartre, figure de Saint-Germain-des-Prés, mystérieux fantôme masqué, reine chez Cocteau, amante de Miles Davis, Jujube à l’enfance cassée… qu’importe les clichés, celle qui fuyait les objectifs autant que les miroirs de sa maison de Ramatuelle, demeurera cette inaltérable insoumise, fantasque et fière. Gréco, c’était notre vraie Marianne de Liberté. Qui parlait au coeur. Pas à la télé. Concluant un entretien, « Au final, tous les publics se ressemblent. Ce sont, tous, des gens avec leurs douleurs. »