UN VENT DE FRONDE
À Marseille, la contre-attaque s’organise Le Var redoute de subir bientôt le même sort
■ L’annonce de la fermeture des bars et restaurants, à partir de ce week-end, lève la fronde à Marseille. ■ La mairie demande un gel de dix jours, avant toute restriction dure, le temps de vérifier si l’épidémie s’aggrave, ou pas. ■ Sur le Vieux-Port, où septembre fait déjà grise mine, les professionnels se rebellent.
Il est bientôt midi, les poissons se languissent. Le long des quais à peine passants, les terrasses sont clairsemées. Sous le soleil imperturbable, Marseille scrute et attend. Avant de se révolter. Dans la rue, les nouvelles vont vite. Tout le monde sait que la mairie dénonce « la punition », voulue par le gouvernement à l’encontre de la deuxième ville de France. Le Vieux-Port, poumon touristique, retient son souffle. « Pourquoi ils s’en prennent à nous ? rugit Jo, trente ans de comptoir au Collins, cheveux gris en bataille. Hier soir, j’ai fait seize couverts sur une terrasse qui peut en compter cent. Il est où le problème ? Là, on est des marionnettes. » La perspective de fermer les bars et restaurants, pendant les quinze prochains jours, sur ordre du ministre de la santé Olivier Véran, est perçue comme une injustice. « Au moins qu’ils nous respectent. Qu’ils le disent à l’avance. Pour ne pas jeter la marchandise. » Midi a sonné. Seuls deux clients font face à la mer.
« La vie s’arrête »
Après un été que tous qualifient d’assez exceptionnel, aucun des croisiéristes qui musclaient la fin de saison n’accoste à Marseille. Les visiteurs du troisième âge sont forcément plus rares, vu le risque de contagion. Septembre est déjà morose. Jeunes retraités, Claudie et Alain n’ont pourtant pas hésité à venir de Rodez, pour quelques
jours. « Si les bars et restaurants ferment, la vie s’arrête. Comment venir et ne pas trouver à boire ou à manger ? », s’interroge le couple, bras dessus bras dessous, à la recherche d’une bonne table. Pourquoi ici et pas ailleurs ? C’est à Marseille et pas dans les autres grandes métropoles qu’on fait ça. » « C’est démesuré, sans anticipation, ça tombe sur le coin du nez », estime Lynda, secrétaire médicale qui accompagne deux amis de Savoie, en balade devant la silhouette de La Bonne Mère. Le trio est bien heureux d’avoir « déjà fait un resto ».« Ça nous rend tristes que les commerçants subissent encore, en direct. Alors que d’autres endroits pourraient être concernés », compatissent Mélodie et Erwann. Marseille, maltraitée ? « On a fait beaucoup d’efforts ici, estiment deux marins qui appareillent à bord d’une navette. D’autres mesures pourraient être prises. » De contrôle.
«C’est dehors, qu’ils ne respectent pas»
C’est aussi le sentiment de Zakaria, 26 ans, sur le point de rentrer à Barcelone, après avoir profité de la vie nocturne, malgré la Covid-19. « Pourquoi les bars ? C’est pas logique, observe-t-il. Les gens, c’est dehors qu’ils ne respectent pas [les gestes barrière]. Mais à l’intérieur, oui .» Venant d’Espagne, il souligne qu’il porte le masque, « même tout seul ». Mais au fond, « heureusement que j’en ai profité avant ! S’ils ferment tout, on va perdre le charme de Marseille. Ils vont casser la ville, direct .» Les eaux sont calmes, aussi, pour la pêche locale. Sur le quai, le thon rouge s’affiche à 20 euros le kilo, devant une femme plantureuse qui s’écrie : « C’est le oaï ! » La fermeture des restaurants décidée à Paris ? « Je ne veux pas en parler ! Je vais en tuer un! » Effet collatéral. Chakira et Foued rafraîchissent soles et daurades sur leur lit de glace. Toujours pas vendues. Il est midi passé. « Les restaurateurs achètent chez nous. Alors s’ils ferment… Nous, nous sommes pêcheurs. On baisse les prix, on bazarde. » Hélant une passante qui lance un oeil curieux : « Dix euros le kilo de bonite. » Peau bleue, oeil brillant. Deux serveurs guettent le client. « Mais quelle heure il est ? Il est hyper tôt, non ?» Non. Midi quarante. L’ambiance est toujours calme. Devant un verre de vin blanc, à l’ombre d’un parasol, un « Marseillais pur souche » fait la grimace. « Par rapport à ce qu’il se passe dans d’autres régions, je ne comprends pas. Les professionnels ont fait des efforts, espacé les tables. Ils ferment plus tôt. C’est anormal qu’ils soient mis sur le banc des accusés .» Pourtant, il y aurait à redire, selon lui. « Tout l’été, le bus 83 qui va vers les plages était bourré. Là, ça dérangeait personne et il n’y avait aucun contrôle ! Je l’ai vu, ce n’est pas une vue de l’esprit .»
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Il y en a qui vont crever… alors crever de la grippe ”
« Ils veulent se payer Raoult »
En essuyant des verres à pied derrière son zinc du Bar Bù, Jérémy veut croire que la partie n’est pas perdue. « On ne va pas fermer. Ils vont se battre à la mairie. Les restaurateurs ne vont pas rester sans rien faire. Il y en a qui vont crever. Alors crever de la grippe ou mourir fermé… » Sur le comptoir trône un cierge « Saint-Raoult ». « Je pense qu’ils veulent se payer Raoult, poursuit-il. Je ne suis pas médecin, mais quand on voit à quel point il dérange des puissants quand il parle. Rien que pour ça, on le soutient .» Le bouche-à-oreille parle d’une manifestation, en train de d’organiser. Vous êtes de Var-matin ? lance un patron de bar. « Dans le Var, vous êtes bien placé. Ils vont se gaver. À une demi-heure de route, ce sera vite vu .»