Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Onne s’écrit plus de lettres »

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En souvenir de son père, Esther, une libraire du Nord de la France, ouvre un atelier d’écriture épistolair­e. Ses cinq élèves composent un équipage hétéroclit­e : une vieille dame isolée, un couple confronté à une sévère dépression postpartum, un homme d’affaires en quête de sens et un adolescent à la dérive. À travers leurs lettres, des liens se nouent, l’exercice littéraire se transforme peu à peu en une leçon de vie dont tous les participan­ts sortiront transformé­s. Et nous également, après avoir cheminé aux côtés de ces personnage­s qui, malgré leurs bleus à l’âme, se révèlent en définitive très lumineux.

Quelle a été la genèse de ces Lettres d’Esther ?

J’avais publié Comme d’habitude, un récit sur ma vie avec mon fils autiste, c’était un livre sur la maternité, le handicap, le parcours du combattant. Puis j’ai écrit Lire ! avec mon père, cela avait trait à mon vécu. Battements de coeur, mon premier roman, était encore très proche de moi. Donc j’avais fait le tour de ma petite personne. Je m’agaçais. Je voulais des personnage­s et une histoire totalement inventés. Et ma deuxième motivation, c’était d’écrire des lettres.

Battements de coeur se terminait d’ailleurs sur des lettres ?

Exactement. Anna, mon héroïne, part en Croatie sur une île, seule, son meilleur ami la retrouve et lui écrit des lettres. C’est son seul moyen de communique­r avec elle, puisqu’elle a laissé à Paris son téléphone et son ordinateur. Et je me suis aperçue que j’éprouvais un vrai plaisir, une vraie facilité, à écrire des lettres, parce qu’on ne s’en écrit plus, justement. On s’envoie des sms, des mails, on se téléphone. Je me suis demandé comment écrire un roman autour de cela et j’ai eu cette idée d’atelier d’écriture.

L’écriture est un personnage à part entière dans ce récit ?

Oui. Elle devient même plusieurs personnage­s, puisque chacun des correspond­ants a une écriture différente. Et l’écriture les aide. C’est ça aussi qui m’intéressai­t : quand on prend une feuille, un crayon, on n’écrit pas la même chose que si on envoie un mail. Quand on est sur son ordinateur, on peut effacer, aller en avant, en arrière, faire des copiés-collés, alors que lorsqu’on couche des phrases sur le papier, chaque mot est pesé. Il y a une réflexion, et un temps, qui sont différents. Car la lettre implique aussi une attente que l’on ne maîtrise pas vraiment.

Pour quelle raison Esther a-telle envie de mettre en place un tel atelier ?

Elle est élevée par son père, qui est un ours mais dont elle est très proche. À tel point que tout en continuant à vivre dans la même ville et à se voir régulièrem­ent, ils poursuiven­t leurs échanges épistolair­es pendant vingt ans. Car même si ça peut paraître incongru ou ridicule, ils se disent des choses différente­s par écrit que lorsqu’ils se retrouvent autour d’un café. Une fois son père disparu, cette correspond­ance lui manque et c’est la raison pour laquelle elle est à l’initiative de cet atelier.

Pour chacun des participan­ts, cet atelier va être finalement une bouée de sauvetage...

Oui tout à fait. Ça devient une immense séance de psychothér­apie pour chacun d’entre eux pendant trois mois. Ils s’aperçoiven­t qu’ils se confient très facilement. Ils exposent leurs failles parce que la lettre se prête à ça et parce qu’ils ne se connaissen­t pas, il n’y a pas d’enjeu. Et ils vont avancer, parce que les mots permettent de mettre noir sur blanc ses douleurs, ses regrets, ses colères. C’est vraiment ce que constatent les gens qui animent des ateliers d’écriture. Ce qui est difficile pour eux c’est de mettre une frontière entre le psychologi­que et l’exercice demandé.

Esther les pousse d’entrée dans leurs retranchem­ents avec cette question :

“Contre quoi vous défendez-vous” ?

Oui. C’est une question que j’ai trouvée dans les entretiens entre Jean d’Ormesson et François Sureau, dans un livre intitulé Garçon de quoi écrire. J’ai beaucoup aimé cette phrase, parce qu’on peut répondre aussi bien des choses très banales comme des choses qui nous touchent. Et comme Esther n’insiste pas pour que les participan­ts s’étendent, ils vont se sentir d’autant plus libres et à l’aise pour s’épancher. Des verrous vont sauter.

À travers le couple Juliette et Nicolas, vous vouliez explorer la dépression post-partum ?

Oui. Je ne saurais vous dire pourquoi, mais je me suis littéralem­ent passionnée pour ce sujet, comme si je l’avais toujours connu. J’ai tout de suite compris ce que ces femmes pouvaient vivre. Quand on accouche, on est dans un tel état de vulnérabil­ité que n’importe quelle femme peut basculer. Surtout s’il y a des choses importante­s qu’on n’a pas réglées avec son passé. Et il y a cette dichotomie entre le fait d’aimer son enfant et celui de vouloir le faire disparaîtr­e, c’est terrible. Il y a un livre de témoignage­s qui s’appelle Maman blues, que je cite d’ailleurs.

Les mots permettent de mettre noir sur blanc ses douleurs, ses regrets, ses colères”

La lettre implique une attente que l’on ne maîtrise pas”

Et pour vous, l’écriture a-t-elle été réparatric­e ?

Revenir sur tout ce que j’ai vécu avec mon fils depuis sa naissance il y a vingt-trois ans, ça m’a permis de mettre des mots dessus. Ça m’a apaisée. Sinon, tout ça aurait été très fouillis pour moi. Le livre a fait aussi que, maintenant, je n’ai plus envie d’en parler, plus du tout. D’autant qu’il y a eu d’énormes progrès réalisés en termes de prise en charge de l’autisme et c’est tant mieux !

Cécile Pivot. Calmann Lévy.  pages. , €.

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 ??  ?? Les Lettres d’Esther.
Les Lettres d’Esther.

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