Pierre Larrouturou : « Il faut taxer la spéculation financière »
Député européen, il a saisi l’opportunité qui s’offrait à lui en tant que rapporteur général du budget pour que le Parlement européen prenne une position officielle sur cette taxe. C’est fait !
Quand on demande à Pierre Larrouturou de situer politiquement son parti Nouvelle Donne, il répond : « J’ai été invité par Europe Écologie pour leurs journées d’été, par le PS et par le PC. Et certaines années, François Bayrou m’invite aux journées du Modem. » Une diversité qui l’aide, dit-il, à « rassembler des gens très différents au Parlement européen, autour de solutions. » Celles qu’il propose pour faire face aux crises sanitaire, sociale, économique, climatique. Celles qu’il évoque dans son livre Aujourd’hui, l’esprit se révolte. Parmi elles, figure en bonne place, la taxe sur les transactions financières. Député européen, rapporteur général du budget, il espère qu’elle s’appliquera en 2024.
Le titre de votre livre évoque la révolte. C’est la vôtre ?
Oui, mais pas seulement. Des millions de citoyens sont très inquiets de l’accumulation des crises sanitaire, sociale… Est-ce que l’on peut accepter d’avoir chômeurs de plus en France d’ici un an, comme on nous l’annonce ? Cela fait ans que les scientifiques nous alertent sur la crise climatique. On vient encore de voir des inondations terribles dans le Gard, dans l’Hérault. Alors dès que j’explique qu’il y a des solutions, qu’on pourrait éviter la plupart des licenciements, gagner la bataille du climat, vivre bien et créer des emplois, les gens disent « pourquoi cela ne se fait pas ? » L’esprit se révolte contre l’inertie de nos dirigeants. Si l’Europe ne change pas de modèle, on va vers un suicide de l’humanité.
Les crises sont-elles seules responsables ?
Le juin, la BCE, Banque centrale européenne a donné aux banques milliards à taux négatif, sans aucun contrôle. Il y a toujours plus d’argent pour les banques et les marchés financiers. Mais il n’y en a pas pour le climat. Et qui va financer le plan d’urgence négocié par Macron et Merkel ? Ce plan est très bon mais la France va devoir rembourser milliards sur trente ans. Est-ce que l’on va augmenter les impôts des gens, couper dans les retraites et dans le budget des hôpitaux ?
Votre solution c’est la taxe sur les transactions financières ?
Oui. Au niveau européen, je me bats pour qu’on mette en place une taxe sur la spéculation. Si on taxe seulement de , % les transactions financières, on aura milliards chaque année. La France n’aura pas à rembourser ces milliards et pourra garder cet argent pour la santé, les retraites. On aura alors plus d’argent pour isoler les maisons ou investir dans les transports en commun sans demander plus d’argent à monsieur et madame Tout-le-Monde.
En tant que rapporteur général du budget européen c’est votre combat du moment ?
Oui ! Une fois tous les sept ans, on peut essayer de changer le cadre économique et financier européen : au lieu de taxer les gens et les petites entreprises, on peut décider de taxer la spéculation, les grands groupes et le digital. Et cela se décide dans les six semaines qui viennent. Au Parlement européen, ce que l’on négocie en ce moment c’est pour les sept prochaines années. Si on n’arrive pas à gagner la bataille maintenant, on n’aura pas d’argent pour le climat pendant sept ans.
Où en sont les négociations ?
Le juillet, j’ai dit devant les députés européens et devant la présidente de la Commission,
Ursula von der Leyen : « Je suis rapporteur général du budget et je ne pourrai pas voter le prochain budget s’il n’y a pas chaque année milliards de plus, grâce à la taxe sur les transactions financières. » J’ai obtenu que l’ensemble du groupe social démocrate reprenne cette demande. Depuis le septembre, c’est la position officielle du Parlement européen.
Quand cette taxe pourrait-elle s’appliquer ?
J’espère une signature des chefs d’État avant la fin octobre pour qu’elle s’applique dès le er janvier . Pour éviter une rechute en récession en à la fin du Plan d’urgence. Rien qu’en France, on pourrait créer emplois si on a plus de moyens pour l’isolation des bâtiments, les transports en commun, les énergies renouvelables et la transformation de notre agriculture...
Vous avez d’autres taxes en tête ?
Oui. Pour créer plus d’emplois. Une petite taxe sur le plastique non recyclé devrait entrer en vigueur l’année prochaine. Cela représente six milliards par an. Je pense qu’il faut aussi taxer les grandes entreprises du digital, créer un impôt sur les milliardaires et instaurer une taxe carbone aux frontières.
Vous êtes un des fondateurs du Plan climat européen. Où en est-il ?
Il y a un consensus de tous les dirigeants européens pour créer une banque du climat en transformant l’actuelle Banque européenne d’investissement, la BEI. Mais est-ce que ce sera juste une petite banque du climat qui va faire quelques milliards de prêts ou une grande banque du climat qui pourra aider toutes les familles, toutes les entreprises, toutes les collectivités, dans tous les pays d’Europe ? Il faut qu’une bonne partie des milliards, donnés aux banques le juin par la Banque centrale européenne, aille à la Banque du climat puis vers tous nos territoires.
Mais il faut que les entreprises acceptent d’agir pour le climat ?
Une de nos propositions est la « loi Fatca-Climat ». Aux EtatsUnis, Barack Obama voulait lutter contre l’évasion fiscale. Il a fait une loi qui s’appelle la loi Fatca, qui affirmait : « Aucune banque ne pourra travailler aux Etats-Unis dans sept ans si elle n’est pas totalement transparente pour le fisc américain. » Au niveau européen, on propose une « loi Fatca-Climat » qui dit qu’aucune banque, aucune assurance ne pourra travailler dans sept ans en
Europe, si elle n’a pas stoppé les investissements fossiles. On ne peut pas dire la planète brûle et laisser des banques mettre des dizaines de milliards dans les énergies fossiles.
Comment empêcher les licenciements ?
En Allemagne, on recommence à parler de la semaine de quatre jours pour éviter les licenciements. Si j’étais à la place du gouvernement, je dirais qu’aucune entreprise ne peut licencier si elle n’a pas d’abord baissé le temps de travail. Contrairement à M. Besancenot, je ne pense pas qu’on puisse
Je me bats pour qu’on mette en place une taxe sur la spéculation financière”
Il faut aussi taxer les grandes entreprises du digital”
interdire les licenciements. Mais on peut faire, comme en Allemagne, en , c’est-à-dire que le licenciement doit être une exception et que la règle est de garder tout le monde en baissant le temps de travail et en maintenant % du revenu. Et dans les entreprises qui vont bien, comme dans l’agroalimentaire et l’informatique, on crée de nouveaux emplois avec la semaine de quatre jours.
Le coronavirus fait-il bouger les choses ?
Oui. La gravité du problème climatique faisait bouger les mentalités. Maintenant avec la crise économique et sanitaire, tout le monde comprend qu’il y a besoin d’argent pour la recherche, la santé et le climat. Sans taxer les « gilets jaunes ».
Où en est votre parti Nouvelle Donne ?
Notre Newsletter est lue par personnes mais les adhérents à jour de cotisations sont nettement moins nombreux. Notre but n’est pas d’être le plus grand parti de France, mais de faire passer nos idées. On veut apporter des solutions pour la justice sociale, le climat, la démocratie.
Serez-vous candidat à la présidentielle ?
Ce n’est vraiment pas la question aujourd’hui. Pour l’instant je suis à % sur les questions européennes.