« Il faut rappeler que la loi est supérieure à la foi »
Fatiha Agag-Boudjahlat parle vrai. Parle franc. Cette professeure d’histoire-géographie à Toulouse, désespérée par la décapitation de Samuel Paty, appelle à une prise de conscience
Fatiha Agag-Boudjahlat, française, militante féministe et laïque, est professeur d’histoire-géographie dans un collège toulousain. Elle en est la référente laïcité et citoyenneté. Elle est auteure de Le grand détournement ou Combattre le voilement, préfacé par la philosophe Élisabeth Badinter (éd. du Cerf). Elle dénonce pêle-mêle une forme de lâcheté collective face à l’orthodoxie radicale musulmane, la faute des parents, et fustige le « pas de vague » en vogue dans l’Éducation nationale.
On vous sent furieuse, désespérée après cet assassinat. Combative également ?
Complètement combative car je dois tout à l’école. Je veux que les gamins que j’ai en cours aient les clés pour avoir la plus belle des vies possibles. J’ai des l’imam. C’est une gangrène. Et si la principale avait dit à cet imam : « Vous sortez, vous n’êtes pas mon interlocuteur. Partez ou on va tous au commissariat » ? L’autorité s’incarne.
Les professeurs sont muselés, leur hiérarchie leur interdit de s’exprimer. On les somme aussi de s’expliquer sur tout, face aux parents. Ce « pas de vague », c’est le tremplin d’une forme de lâcheté nationale ?
Vous me dites que les professeurs sont muselés. Non. Ils ne sont pas muselés. Ce sont euxmêmes qui se taisent. Eux-mêmes qui sont lâches.
L’Éducation nationale leur interdit de parler…
Pour ma part, ça fait des années que je parle. Qu’est-ce qu’on m’a fait ? Rien ! On est la profession la plus protégée de France et les enseignants sont les plus trouillards. Ils ont le syndrome du bon élève. Ils veulent plaire. Ils vont prendre la parole pour des demandes catégorielles mais quand il s’agit de prises de positions politiques… Une déculturation politique les a touchés. Nous, les profs d’histoire sommes confrontés à tous les problèmes actuels.
Il y a une lâcheté institutionnelle ?
Jean-Michel Blanquer n’est pas lâche. Je lui fais toute confiance, mais il a toute complètement multi culturaliste. Les profs ne seront pas soutenus dans le cadre d’un conflit face à des parents. Quel que soit le conflit. Le client est roi et les parents sont des clients.
Une prof d’histoire-géo niçoise confie ce jour dans nos colonnes sa stupéfaction de voir une jeune fille de confession musulmane lui interdire de lui montrer le David de Michel-Ange à cause de la nudité. À qui la faute ?
Cette collègue, au moins, est choquée. J’en ai qui ne le sont pas. Qui demandent leurs croyances, dans une orthodoxie qui n’existait pas avant. Avant on était musulmans de plein de voulu faire une minute de silence pour Charlie je lui ai faite faire de force. Car des fois c’est l’autorité qui compte. Je lui ai dit «Situne veux pas la faire, tu prends ta table, tu la retournes, je ne m’occupe plus de toi jusqu’à la fin de l’année. Si tu t’exclus d’un deuil national, tu n’existes plus ». Il l’a faite. Côté pédagogie, je leur apporte un contenu scientifique de haute volée. Il ne faut jamais être complaisant mais toujours exigeant. Le débat qui s’ensuit se prépare, c’est un travail que je fais sur deux mois. À la fin, seule l’autorité permet aux enfants de sortir de ce conflit de loyauté avec l’honneur sauf. Protégeons-les, en les empêchant d’avoir à faire ce choix impossible.
Vous assurez que vous devez tout au modèle républicain ?
Tout. Ma mère a élevé seule huit enfants. Nous sommes allés aux Restos du coeur, au Secours catholique. J’ai un frère qui a fait quatorze ans de prison, deux fois dans un centre de rétention. J’ai eu des perquisitions de police chez moi. Je dois tout à l’école de la République qui m’a permis de me sentir bien dans mes baskets.
Vous dites également que la loi est supérieure à la foi...
Samuel Paty n’a pas fait un cours sur les caricatures. Son cours parlait de liberté de conscience, la chose la plus dure à obtenir sur terre. Si on est cohérents avec les enfants, si on leur tient cours comme il faut, en rappelant que la loi est supérieure à la foi, ils sont prêts à l’entendre. Dans mon collège ça fonctionne aussi car mon chef d’établissement tient la route.
Vous nous invitez à regarder le bilan en face : un prof ou un guide décapités, des journalistes massacrés, un prêtre égorgé, des policiers, des civils en terrasse... La mort de Samuel Paty va-t-elle changer quelque chose ?
On n’est pas là pour conforter des bigots”
Non, car dans une semaine on n’en parlera plus. Ce qu’on appelle résilience se transforme dans la majorité des cas en une accoutumance à l’ignoble. Quand j’entends des journalistes dire « oui, mais » pour Charlie alors que c’est la liberté de la presse qui a été assassinée... Quand j’entends avec Mila, « Oui, mais »... je suis désabusée. On va vite oublier. Mais je garde ma combativité pour mes élèves.
La peur et la honte devraient être de leur côté”
Ce discours-là vous met-il en danger ?
J’ai une application gratuite qui s’appelle BodyGuard qui d’office bloque les messages d’insultes et de menaces. Bien sûr que j’en reçois. On me menace de viol, de mort, on me traite de négresse de maison, de suceuse de blancs. Je m’en fiche royalement. La peur et la honte devraient être de leur côté.