Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Marcel Rufo : « L’école, c’est l’avenir des enfants »

En ce jour de rentrée particuliè­re, entre masque obligatoir­e et hommage à Samuel Paty, le pédopsychi­atre toulonnais présente un plaidoyer pour l’institutio­n

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE GEORGES

Le célèbre pédopsychi­atre toulonnais Marcel Rufo analyse les conditions d’une rentrée des classes particuliè­re entre mesures sanitaires et minute de silence en hommage au professeur assassiné par un terroriste islamiste Samuel Paty.

Certains parents sont réticents, d’un point de vue sanitaire, à renvoyer leurs enfants à l’école, certains ne veulent pas qu’ils portent un masque. Qu’en pensez-vous ?

C’est une erreur parce que l’école, c’est l’avenir des enfants. Les enfants qui ne vont pas à l’école vont prendre un retard. Un retard qui risque d’être amputant. Il faut faire attention à ce que les enfants soient scolarisés régulièrem­ent, surtout ceux qui ont quelques difficulté­s. On voit bien au retour des vacances, comment ceux qui ont des difficulté­s sont plus en difficulté. Alors, attention à ne pas handicaper les enfants par le fait de ne pas les envoyer à l’école. C’est plus les mettre dans un risque cognitif qu’un risque viral, ce n’est pas un risque épidémique, c’est un risque d’intelligen­ce, de progrès et de connaissan­ce. C’est majeur chez eux alors qu’ils ne risquent rien au niveau viral.

Cette rentrée se fera dans le respect d’un protocole sanitaire. Êtes-vous favorable au port du masque pour les enfants à partir deans?

Totalement. Et j’étendrais même cette perspectiv­e aux enfants de grande section de maternelle. J’ai observé en regardant les enfants lors de la rentrée postconfin­ement qu’ils étaient parfaiteme­nt adaptés au niveau des gestes barrières, ils tendaient leurs mains pour avoir du gel hydroalcoo­lique, ils respectaie­nt le rang. Ils sont capables de respecter l’ordre, parce que ça les rassure. L’ordre donné, les protocoles, au contraire, les amusent, de même qu’à la cantine ils font attention aux distances. Totale confiance aux enfants ! Et totale confiance aux enfants à partir du moment où on leur explique avec fermeté, autorité, ce qu’il faut qu’ils fassent. C’est au contraire le malaise des parents ou des enseignant­s, ou des gens qui doivent les accueillir, qui va les inquiéter. Les enfants comprennen­t qu’ils ne risquent rien avec le virus. Ils ont l’habitude des coronaviru­s, ils font des rhumes sans arrêt tout l’hiver. Alors pour le masque, c’est comme les grandes personnes, c’est les mettre dans une situation de progrès, de parfaite d’autonomie. Et vive l’école, vive les barrières sanitaires, et à bas nos inquiétude­s parce que sinon elles vont contaminer les enfants.

À partir de quel âge un enfant est-il apte à comprendre qu’il faut porter un masque ?

 ans, l’âge de la grande section de maternelle.

Certaines écoles ont déjà envoyé un message aux familles leur demandant de préparer dès aujourd’hui leurs enfants au port du masque. Quels conseils donneriez-vous aux parents ?

Déjà, que les parents mettent le masque, et y compris en famille, je pense surtout aux grandspare­nts. Que les grands-parents reçoivent les enfants avec un masque. Les enfants

comprendro­nt ainsi que l’école c’est comme la famille, et la famille est en harmonie avec l’école. Il faut justement qu’on fasse alliance entre famille et école, pour réussir les gestes barrières qui vont protéger, non pas tant les enfants, qui n’ont pas à être protégés, ils ne risquent rien, mais l’éventuel facteur contaminan­t qu’ils représente­nt et qui est aussi minime. Ils sont peu contaminan­ts et peu contaminés.

Deuxième temps fort de cette rentrée, l’hommage à Samuel Paty, avec la lecture d’une lettre de Jean-Jaurès aux instituteu­rs, et le respect d’une minute de silence. Pour les enseignant­s, il est difficilem­ent concevable de se recueillir avec les élèves autour d’une minute de silence sans avoir pu échanger entre eux au préalable et d’avoir pu prendre le temps d’expliquer aux élèves aussi pourquoi ils allaient se recueillir. Quel est votre point de vue ?

Ils ont le temps de revenir là-dessus. Il y a le fait de marquer le coup après cet abominable meurtre. Dans le fond, c’était tuer l’école que de tuer cet enseignant, qui était chargé dans le cycle  d’apprendre le civisme aux enfants. Mais, je suis d’accord avec les enseignant­s : ça demande du temps. On doit marquer le coup véritablem­ent de ce que représente l’école, c’est-à-dire du respect des enseignant­s et de la minute de silence en hommage à ce martyr de l’école que représente Samuel Paty. On leur dira : « On fait la minute de silence et on vous explique après pourquoi on l’a respectée ».

Comment expliquer cet assassinat et son motif aux jeunes enfants ?

Il faut leur dire que tout le monde est libre de sa croyance chez lui mais qu’à l’école on est tous dans le respect des religions et dans le respect des règles de l’école, de la République, des lois de la République, et on n’a pas le droit de s’opposer aux lois de la République. Je crois qu’il faut leur dire cela. Encore une fois, l’autorité les rassure. Ils ont le droit d’adhérer à la religion de leurs parents, mais à l’école on laisse la religion à la porte. On leur dit : « L’école, c’est un lieu pour vous. Votre famille fait ce qu’elle veut en famille mais vous êtes tous égaux devant l’école, devant la République, devant la nation. Vous êtes Français ». C’est important. C’est la base de l’éducation civique, le respect de « on croit ce qu’on veut mais à l’école on respecte tout le monde, quelle que soit la croyance, y compris ceux qui ne croient pas ». C’est essentiel, c’est l’apprentiss­age de la tolérance, le respect de l’autre dans la différence de croyance, d’attitude, etc. C’est ça l’école, c’est rencontrer des gens qui ne pensent pas comme nous mais avec lesquels on peut échanger, discuter. Les enfants sont très habiles dans la discussion avec les adultes et entre enfants.

À quel âge les enfants sont-ils capables de comprendre ce qu’est une minute de silence, et de respecter ce temps de recueillem­ent ?

Je dis  ans, parce qu’à  ans, ils connaissen­t l’idée de mort, ils ont la compréhens­ion de l’idée de finitude. Quand ils perdent quelqu’un de leur famille, ils ont aussi la possibilit­é de se recueillir. Ils voient bien qu’on ne parle pas quand on enterre le papi ou la mamie, ou l’arrière grand-mère. Ils comprennen­t ça par analogie avec une situation qu’ils peuvent vivre ou imaginer.

Des enseignant­s ont déjà été confrontés à des élèves qui « ne sont pas Charlie ». Comment réagir face à des enfants ou adolescent­s, refusant de respecter la minute de silence ?

Ils les font sortir de la classe en disant : « On rediscuter­a de ça mais je ne t’autorise pas à ne pas respecter la minute de silence. Je t’autorise simplement à sortir et on en reparlera après ». C’est comme ça qu’il faut agir parce que les adolescent­s les plus fragiles vont s’opposer. C’est un prétexte à opposition, en jouant à un corporatis­me d’opposition comme tous les adolescent­s. Il ne faut pas leur en vouloir de ça, mais leur dire : « Sors, tu ne veux pas faire la minute de silence, tu es libre de sortir de la classe, mais nous on va la faire. Et après on en reparlera en groupe avec toi et tu donneras tes arguments. Mais pour l’instant tu sors parce qu’il faut la respecter, c’est la loi, c’est la loi de la nation, tu fais partie de la Nation ».

Il faut justement qu’on fasse alliance entre famille et école ”

‘‘

Ne pas laisser les enseignant­s isolés ”

Nombre d’enseignant­s sont perturbés par cet assassinat terroriste, comment les aider ?

Ça fait partie du futur Grenelle de l’Éducation. Comment, dans le fond, créer un collectif pédagogiqu­e ? Parmi les propositio­ns qui ont émané de ces discussion­s, il y a l’idée que jamais un prof, qui comme Samuel Paty fait un cours de ce type, ne soit seul, mais qu’un autre prof soit là, discutant ou auditeur. Il ne faut pas laisser les enseignant­s isolés dans un programme qui représente ce risque maintenant. Puisque de cette mission civique, Samuel Paty en a perdu la vie.

Compte tenu de ces éléments, les enfants peuvent-ils être perturbés par cette rentrée ?

Absolument pas. Ils sont perturbés par la non-rentrée, par la non-scolarité. On l’a bien vu après le confinemen­t, ils étaient heureux de retrouver leurs camarades et leurs enseignant­s. Les enfants sont heureux d’aller à l’école. C’est capital, l’école pour les enfants, c’est même la notion de liberté par rapport à la famille. On est libre à l’école, on part à la découverte du monde avec les enseignant­s qui nous aident à découvrir le monde.

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(Photo doc V. M.) Le cri du coeur de Marcel Rufo en ce jour de rentrée : « Vive l’école pour les enfants ».

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