Arnaud Montebourg : « Le PS a abandonné les gens »
L’ancien ministre du Redressement productif, sur une ligne désormais plus gaulliste que socialiste, raconte les couleuvres avalées au gouvernement et laisse deviner un retour à la politique active
Il a débuté sa vie professionnelle comme avocat. Il s’occupe désormais de sauver les abeilles, à la tête de l’entreprise qu’il a fondée, Bleu Blanc Ruche. Entretemps, Arnaud Montebourg a consacré dix-huit années de sa vie à la politique. Il fut d’abord député PS et président du conseil général de Saône-et-Loire, avant de devenir ministre de François Hollande, du Redressement productif puis de l’Économie. Il a sauté du gouvernement avec pertes et fracas à l’été 2014, lassé de ne pouvoir en infléchir les orientations, jugées trop asservies à l’austérité. Il vient de publier L’engagement (1), qui raconte son impuissance à imposer ses convictions keynésiennes et souverainistes. Et résonne comme une envie, à 58 ans, de reprendre le combat où il l’a laissé. A la mode Montebourg, façon bulldozer…
Commençons par la fin… Votre livre s’achève sur un point d’interrogation. Esquisse-t-il votre retour en politique lors de la présidentielle ?
Je suis absorbé par mes entreprises de marques équitables. Mais la France ne m’a jamais quitté. Je reste un homme engagé et, évidemment, je réfléchis à faire en sorte que le pays prenne de bonnes décisions en . Les idées que j’ai défendues durant vingt ans sont devenues dominantes et je ferai donc tout pour qu’elles soient au pouvoir. Comment, avec qui ? Je n’en sais rien à ce stade. Ma préoccupation première est que beaucoup des convictions que je n’ai pas réussi à mettre en oeuvre dans mon propre engagement puisse enfin l’emporter, puisqu’elles sont aujourd’hui soutenues par les Français.
Que vous inspire la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?
Pour moi, le sujet, ce n’est pas la gauche, c’est la France. Les écuries où les bleus sont avec les bleus, les rouges avec les rouges, les verts avec les verts, cela n’a plus de sens dans la situation difficile que le pays est en train de vivre.
Pour vous, le Parti socialiste est arrivé au bout de son histoire, en devenant plus sociétal que social ?
Je l’ai quitté il y a un moment déjà et je n’ai plus l’intention d’y retourner. Il a payé le prix durable de la façon dont il a abandonné les gens. Il a laissé s’appauvrir les classes populaires et moyennes, en leur infligeant une cure d’austérité fiscale qui n’était pas nécessaire. Les recettes trouvées au plan européen pour surmonter la crise sanitaire auraient très bien pu être mises en oeuvre au moment de la crise de . Les Français ont connu des années d’austérité pour rien et les responsables de cela sont François Hollande et Emmanuel Macron, qui ont conduit la même politique d’appauvrissement des classes moyennes. crudité des situations, des faits et des comportements des hommes. Je raconte, de l’intérieur, comment fonctionne la mécanique consistant à abandonner les Français. Quand on dit une chose durant la campagne et qu’on fait le contraire, comment voulez-vous que ça marche ? Je ne porte pas de jugement, mais je montre des hommes tels qu’ils se sont dévoilés dans leurs prises de décisions. Ce sont les situations qui sont intéressantes, car elles se reproduisent à chaque quinquennat.
Le pays est-il gouverné de fait par les hauts fonctionnaires, dont vous dénoncez l’arrogance et le poids paralysant, dans le seul but de « défendre leur bifteck » ?
Il ne faut pas généraliser, mais c’est ce que j’ai vécu. Il faut résoudre ce problème de la captation du pouvoir par la technocratie. D’ailleurs, la très mauvaise gestion de la crise sanitaire est le résultat de la prise du pouvoir par cette technocratie incompétente, incapable d’organiser une mobilisation nationale autour d’enjeux difficiles. Heureusement que nous ne sommes pas en guerre, ce serait terrible, nous aurions l’impression d’avoir l’état-major de avant la débâcle !
D’Emmanuel Macron, vous dites qu’il est un artiste de variétés, un Julien Doré ou un Fregoli, un transformiste capable de changer de costume et d’interpréter une nouvelle partition à toute vitesse…
C’est ça : changer de costume, de discours, pour embrouiller les esprits. Cela traduit le vide de la politique et la destruction de la valeur de la parole.
Vous racontez par le menu votre impuissance à faire entendre raison à François Hollande sur les dossiers de Florange et Alstom… Il y avait mieux à faire ?
Il y avait à prendre des décisions courageuses, pour lesquelles il existait un consensus républicain, tant pour la nationalisation du site de Florange que pour le refus de vendre Alstom. Il n’y a pas de fatalité à l’impuissance et au démantèlement de nos fleurons industriels. Mais nous n’avons pas eu les bonnes personnes pour prendre les bonnes décisions au bon moment.
La crise sanitaire sonne-t-elle le glas de la mondialisation ?
Attendez ! La mondialisation, ce sont trente ans de décisions gouvernementales. Ce sont les gouvernements qui ont décidé de la faire, en abaissant les droits de douane, en libéralisant les échanges et les mouvements de capitaux. Le rétrécissement du monde a commencé. La montée des taxes carbone, qui seront un obstacle nouveau aux échanges, va permettre de mieux nous protéger contre les abus de la mondialisation. Mais nous avons à accentuer cette tendance pour défendre nos intérêts nationaux.
Vous laissez percer une sensibilité gaulliste. Le « made in France », c’est un néogaullisme ?
Je ne veux pas donner l’impression de mettre le gaullisme à toutes les sauces. Mais c’est un surplomb, un surmoi national qui touche tous les Français. Il reste un point de rassemblement. Défendre l’économie par-delà les partis, défendre l’intérêt national de produire sur notre sol, c’est bien sûr une position que j’ai en partage avec l’esprit gaulliste.
Comment conciliez-vous cet esprit-là avec votre volonté d’une VIe République ?
C’est tout le sujet. La Ve République, qui concentre tous les pouvoirs dans les mains d’un seul homme, ne fonctionne plus. On a besoin, pour reconstruire le pays, d’un cerveau collectif. Il faut bien sûr un chef, mais adossé à des contre-pouvoirs et des éléments d’équilibre qui n’existent plus aujourd’hui. Le recours au référendum notamment, mais pas que. Il existe d’autres façons d’équilibrer les pouvoirs et d’associer une meilleure discussion publique avant les prises de décisions. Notre tutelle est devenue abusive.
La vacuité des dogmes austéritaires”
Comment expliquez-vous votre faible score lors de la primaire socialiste de [troisième derrière Benoît Hamon et Manuel Valls avec , % des voix] et envisagez-vous l’émergence d’un candidat unique de la gauche pour ?
Je n’ai pas de commentaire à faire sur ce sujet. Mon souci n’est pas l’union de la gauche, mais l’union des Français. C’est ce à quoi il faut s’attacher pour relever ce pays. On ne fera pas une VIe République avec un camp contre un autre. On ne réformera pas le capitalisme, qui en a besoin parce qu’il est trop inégalitaire et crée les conditions de sa contestation, sans trouver un compromis entre les forces patronales et syndicales ; on ne reconstruira pas de manière écologique l’industrie et l’agriculture en opposant les uns aux autres. On aura besoin de tout le monde.
Mon souci n’est pas l’union de la gauche...”
PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr
1. Grasset, 398 pages, 22 euros.