Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le procès « Charlie Hebdo » de nouveau suspendu : une audience dans l’audience

- PHILIPPE MINARD/ALP

Drôle d’ambiance pour une reprise. Hier matin, dans un palais de justice sécurisé comme jamais, le procès de Charlie Hebdo, interrompu depuis trois semaines, a de nouveau été suspendu jusqu’au lundi 30, en attendant que l’accusé Ali Riza Polat - testé positif au virus de la Covid19- soit rétabli. Les experts médicaux, diligentés à son chevet durant le week-end, estiment qu’il sera sur pied à la fin de cette semaine.

Le président de la cour d’assises, Régis de Jorna, avait dans un premier temps envisagé une reprise hier matin, avec un accusé en visioconfé­rence. L’ordonnance du 18 novembre prise par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, dans le cadre de la loi d’habilitati­on liée à la crise sanitaire, lui en donnait la possibilit­é, sachant que l’accusé n’avait plus à intervenir à ce moment de l’audience, réservé aux plaidoirie­s. La signature de cette ordonnance, vivement contestée durant le week-end par les représenta­nts des avocats, qui ont depuis saisi le Conseil d’État pour en contester la validité, a pris une telle ampleur que l’ambiance était plus que tendue hier matin au palais de justice de Paris. Soucieux de calmer les esprits, le président a tenu à préciser qu’il n’avait jamais décidé de s’appuyer sur cette ordonnance, mais qu’il « avait seulement envisagé pouvoir le faire ».

Le garde des Sceaux dans le box des accusés

Particuliè­rement remontés, les avocats de la défense ont eu vite fait de placer leur ancien confrère Dupond-Moretti dans le box des accusés, en vertu du « non-respect des lois de la République ». Ainsi, Me Coutant-Peyre, avocate d’Ali Riza Polat, juge que « ce qui s’est passé au Conseil des ministres mercredi 18 novembre est un coup d’État, un coup d’État organisé avec Éric Dupond-Moretti et Monsieur Emmanuel Macron, qui a signé ».

Et d’insister :

« “Acquitator” [surnom de DupondMore­tti dans la magistratu­re] aoublié qu’un accusé devait être là, physiqueme­nt, et pas en visioconfé­rence depuis son cachot, ce notamment pour pouvoir communique­r librement avec son avocat. »

Après que l’avocate Marie Dosé ait affirmé que « pour sauver ce procès, il fallait faire sortir le pouvoir exécutif de cette salle », sa consoeur Me Safya Akorri a prévenu que plusieurs avocats quitteraie­nt la salle si la visioconfé­rence était finalement autorisée. Suspecté d’avoir sollicité cet ordonnance, le procureur Jean-Michel Bourlès, avocat général, supporte mal ce soupçon de soumission au pouvoir exécutif : «Le Parquet n’a pas été demander nuitamment cette ordonnance au ministère ! Cette mesure (la comparutio­n d’un accusé en visioconfé­rence) a été prise parce qu’il convient d’éviter de suspendre sans fin une audience ou de la renvoyer à une session ultérieure. M. Polat a pu assister à la majorité des débats, interroger les témoins, parler avec son avocate. Dans la phase qui vient, sa présence physique ne me paraît pas essentiell­e. » Conscient de la pression, il a cependant admis le principe d’un nouveau report, «à condition que soit le dernier ». Également soucieux de préserver la bonne tenue du procès, et surtout de le mener dignement à son terme, les avocats des victimes ont à leur tour exprimé le souhait d’un report. « « Ce procès est regardé dans le monde entier. Si on n’est pas à la hauteur des enjeux, nous serons tous responsabl­es d’un échec. Les parties civiles, les avocats, la cour, les accusés, tout le monde veut en finir », a plaidé Me Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo. Tous se retrouvero­nt donc le lundi 30, pour la dernière ligne droite d’un procès qui a débuté le 2 septembre dernier.

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